Un homme couvert de sang fait intrusion une nuit dans la chambre d’une jeune adolescente de douze ans. Loin de réagir comme la situation l’exige, la jeunette lui fait signe de ne pas faire de bruit : « les rôles, elle les a inversés dès que l’homme est entré en scène ». C’est que Marie-Louise Bougamont, mieux appelée Malou, n’attendait que ça, elle rêvait de cette rencontre, depuis que Javel, la petite ville du Nord où elle vit, est secouée par une série de meurtres d’enfants. Cette irruption ne fait qu’exaucer son vœu et réaliser un rêve éveillé, celui d’avoir sous la main un tueur comme instrument de sa vengeance.
Ni une ni deux, elle cache le criminel dans la cave, et met son amie Thérèse dans le secret. La fillette, qui souffre du départ de son père, et le tueur, qui se révèle amnésique, font une paire inénarrable, dominée par le regard acéré et la lucidité implacable de Malou. Autour d’elle s’étire une galerie de personnages dépenaillés, tous plus lamentables les uns que les autres. Dans cette atmosphère qui navigue entre le sordide et le truculent, l’irruption (tardive) du fantastique dans Malou et l’Agneau étonne à peine.
Il est des territoires peu explorés ces dernières décennies. Le fantastique est de ceux-là. Il est d’autant plus précieux de connaître et de pouvoir lire alors ses représentants francophones contemporains, qu’il s’agisse de Francis Berthelot, Anne Duguël, Patrick Senécal, Mélanie Fazi ou quelques autres. Pascal Françaix fait partie de cette famille.
Si en plus il s’aventure dans les terres hantées de l’enfance et de l’adolescence, le plus souvent désertées, pour y montrer les affinités troubles qu’elles ont avec le fantastique et l’horreur, c’est dire s’il sera peu suivi.
C’est un tort. Pascal Françaix avait déjà marié enfance et fantastique dans ses romans précédents. Laide Mémoire révélait à travers ses fantômes le sort affreux réservés à des enfants dans une ville minière. Et Les Mères noires suivait le quotidien d’un enfant atrocement martyrisé par sa mère monstrueuse. On ne saurait terminer cette parenthèse sans mentionner les savoureux romans de sa sœur Audrey Françaix, où l’humour noir explose, comme Le Club des apprentis criminels ou Monstre en cavale ! Baba Yaga la sorcière givrée.
Entre rire et larmes, le quotidien de Malou prend corps au travers du parler gouailleur des gamines, d’un oral populaire formidablement recréé. Mais c’est surtout le narrateur qui se montre très présent et dont la voix prend une dimension importante. Chargée d’un humour à la fois tendre et grinçant, elle charrie ses régionalismes, ses transcriptions de langage oral et ses innombrables inventions lexicales. Sans parler des écrits des personnages, portant la marque de leurs auteurs, entre maladresses et moqueries : rédaction scolaire, lettre de dénonciation, journal intime… Tour à tour précieuse ou crue, toujours (impertinente, la langue du roman ne cesse de ravir.
Pascal Françaix allait faire montre de plus de virtuosité encore avec l’opulente langue médiévale imaginaire de Glückster le rouge, publié la même année : une incroyable langue composée de néologismes, d’argot et d’archaïsmes, un tour de force qu’on ne saluera jamais assez. Avec Cahiers-décharge en 2007, c’est l’utilisation, stupéfiante de maîtrise, d’un argot riche et éloquent qui achève de forcer l’admiration.
Pascal Françaix est un auteur trop rare. On attend de lui un ouvrage sur le camp dans le cinéma (surtout dans le domaine fantastique dont il est un spécialiste), somme sur le sujet dont il a déjà publié quelques pages ici et là. En attendant, ses romans sont à lire impérativement.