« L’Horloge de la place Gambetta à Amiens », de Paul d’Ivoi, est paru dans Le Magasin Pittoresque du 1er février 1897.
L’Horloge de la place Gambetta à Amiens
Ô Amiens ! ville charmante avec tes boulevards ombreux, ta merveilleuse cathédrale, tes bas quartiers jetés sur un lacis de canaux ; Amiens, cité riante à la population hospitalière, combien je t’aimerais, si tu ne renfermais dans ton sein une tribu d’artistes barbares : les peintres sur fer forgé !
Cela s’étale au grand jour. Quand on débouche de la rue des Trois-Cailloux, sur la place Gambetta, si distrait, préoccupé, absorbé que l’on soit, l’attention est appelée, que dis-je, forcée par une chose énorme, bleue, rouge, verte et or, qui hurle et pétarade sur le fond gris des maisons.
Et cette chose, maquillée par des Rubens d’Épinal, est une belle chose, une œuvre intéressante et originale due à deux hommes vraiment épris d’art : MM. Ricquier, architecte, et Roze, sculpteur. C’est l’horloge de la place Gambetta.
Le coquet chef-lieu de la Somme choisit bien ses maires ; l’un d’eux, M. Dewailly, attribua généreusement une somme de vingt-cinq mille francs à l’érection d’un édifice utile à ses concitoyens.
— Time is money, se dit-il. Je vais donner l’heure aux Amiénois.
De cette résolution, empreinte de pratique philanthropie, naquit une œuvre dans le sens que donnaient à ce mot les anciennes corporations
D’un socle de granit de Normandie affectant la forme d’un prisme triangulaire à faces évidées et coins coupés, surélevé de quelques degrés, jaillit une colonne ajourée de fer forgé, bronze et émaux, d’où se détachent ainsi qu’un feuillage métallique des palmettes retombantes.
A la couronne toute une efflorescence ferronnière s’épanouit en courbes gracieuses, qui emprisonnent la sphère en cuivre repoussé, abri du mécanisme de l’horloge, et serpentent autour des trois cadrans de verre émaillé multicolore.
Un poinçon fleuri et flamboyant domine le tout. Le monument sera complété par l’adjonction sur le socle d’une figure allégorique de bronze qu’achève en ce moment l’éminent sculpteur M. Roze.
Pourquoi le vermillon et le bleu-gendarme déparent-ils en l’alourdissant la tentative hardie et curieuse de deux hommes de grande valeur ?