Paul Féval, Ann Radcliffe contre les vampires (1874) – Les moutons électriques, coll. « Les Saisons de l’étrange » (2018)

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Illustration de Melchior Ascaride, Les Moutons électriques, 2018

Tout d’abord, il faut dissiper un malentendu possible : Ann Radcliffe contre les vampires n’est pas un inédit de Paul Féval, il s’agit d’une réédition de La Ville-Vampire. Le titre original apparaît sur la page de titre, et ce changement peut s’expliquer dans une collection contemporaine à destination de la jeunesse. Ce nouveau titre, sur le modèle des titres de Seth Grahame-Smith, se justifie d’autant plus qu’il reflète parfaitement la nature feuilletonesque et parodique du roman, alors que la ville du titre original n’est pas mentionnée avant les deux tiers du volume.

Le narrateur introduit son récit en évoquant les plagiats dont les auteurs britanniques se rendent coupables sur la littérature française. Pour faire pencher la balance dans l’autre sens, une aristocrate anglaise, seulement nommée « Mylady », offre au narrateur de coiffer au poteau ses rivaux d’Albion en s’emparant d’une histoire inédite. Elle le mène au chevet d’une quasi-centenaire, Miss Jebb, qui n’est autre que la nièce d’Ann Radcliffe. Ann Radcliffe, reine du roman gothique à la fin du XVIIIe siècle, influence majeure du fantastique avec Les Mystères d’Udolphe, L’Italien ou le Confessionnal des pénitents noirs, leurs châteaux en ruines, leurs souterrains, et leurs jeunes filles en péril. D’où venait l’inspiration débridée de cette femme à la vie sans histoire, d’où tirait-elle ces intrigues haletantes ? Miss Jebb a eu la chance d’entendre de la bouche de sa tante un souvenir de sa jeunesse qui explique tout.

À la veille de se marier, Ann Radcliffe reçoit des lettres inquiétantes de ses amis Cornelia et Ned, eux aussi sur le point de convoler en justes noces. Cornelia est destinée à hériter une riche fortune, et il y a toute apparence que son tuteur Tiberio de Montefalcone trame de sombres projets. Une dernière lettre lui apprend que Ned a été attaqué et laissé pour mort. Ni une, ni deux : Ann décide de partir incontinent, en compagnie de son domestique, Grey-Jack. De plus, ce dernier soutient mordicus que le répétiteur de Ned, Otto Goëtzi, est un vampire… Les périls semblent se multiplier.

Commence alors un récit échevelé, marqué par un vampire dégageant une luminosité verte, capable de se dédoubler et de transformer ses victimes en esclaves sans volonté. L’humour règne du début à la fin, qu’il s’agisse de moquer les Anglais, d’inventer des rebondissements abracadabrants, de recourir au deus ex machina ou de mettre en scène des bagarres burlesques. La désinvolture envers des personnages réduits à des pantins, les parodies de révélations larmoyantes, l’ironie fréquente, rappellent davantage le Voltaire de Candide que les intrigues romanesques, mélodramatiques et fantastiques de Radcliffe. Si certains éléments évoquent Dracula, comme la partie épistolaire, les menées d’un vampire excessivement dangereux et l’organisation de sa destruction, le roman de Bram Stoker ne date que de 1897, alors que La Ville-Vampire est prépublié en 1874 et paraît en volume chez Dentu en 1875. Le court roman de Paul Féval apparaît alors comme une sorte de « parodie par anticipation » de son prestigieux successeur.

Il n’en contient pas moins des passages plus poétiques, comme la description de la ville-vampire, qui opère la jonction entre le lyrisme du romantisme et les superbes excès du décadentisme. Ann Radcliffe contre les vampires rend un hommage rigolard au romantisme noir des « frénétiques », Nodier et son Smarra, Aloysius Bertrand et son Scarbo, Petrus Borel le lycanthrope ou Philothée O’Neddy. La collection « Les Saisons de l’étrange » remet en lumière ce roman trop peu connu, en offrant une présentation à plusieurs niveaux. Le nouveau titre et l’épitexte composé de fausses citations promotionnelles s’adressent surtout aux adolescents. Mais par ailleurs, une postface passionnante d’Adrien Party replace le roman dans le cadre de l’œuvre de Paul Féval et dans l’histoire de la littérature vampirique, alignant les informations utiles et lançant des pistes de réflexion. Effrénée et extrêmement drôle, Ann Radcliffe contre les vampires / La Ville-Vampire est une lecture pour tous les âges.

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