Paul Gilson, La Boîte à surprises : une maison buissonnière et des automates

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La Boîte à Surprises, Histoire en l'Air par Paul Gilson, illustrations de Jean Image - La Nouvelle France, coll. Fier Lapin n°2, 4e Trim. 1946.

Paul Gilson : La boîte à surprises

Paul Gilson, dépeint comme un merveilleux enchanteur dans un article précédent, a bien entendu écrit pour les enfants. Père de deux garçons qu’il ne dût manquer de charmer, il ne quitta jamais réellement l’enfance lui-même.
Sur cette page, je chroniquerai uniquement  La boîte à surprises, Histoire en l’air, un roman léger et spirituel destiné à la jeunesse. Il parut dans une collection nommée avec humour Fier Lapin en 1946, illustré par un autre grand enfant, Jean Image. Cette fantasy entraîne toute une compagnie dans la folle escapade d’une maison buissonnière. Fantasque, elle choisit de s’envoler dans les airs à l’instar de celle de Prévert qui prenait la clef des champs. Un prétexte souriant pour explorer encore les thèmes préférés de Paul Gilson, les machines magiques que la science crée sans en reconnaître la paternité, les automates, les gens ordinaires, les petites folies et la tendresse, une grande tendresse pour ce monde qui s’obstine à être beau malgré toutes ses vilenies.
J’en parlerai à deux voix, la mienne, mais surtout celle de Paul Gilson entre les guillemets, sa voix perdue comme celles qu’il faisait entendre dans « Les Voix en peine » du recueil Merveilleux, les voix fantômes qui ne sont pas tues. Ne cherchez rien de bien sérieux dans mes commentaires au fil de ma lecture, c’est inutile.

Vive la Fuite !

Le héros est un jeune garçon, Jean-Louis Smile, on notera le patronyme souriant inspiré des flâneries anglaises de Paul Gilson, globe-trotter. « Il aurait dansé sur un volcan, joué aux cartes le jour de la fin du monde. Il appartenait à la race des enfants dont on dit « qu’ils ne feront jamais rien de bon dans la vie ». C’était donc une nature d’élite. » Roi du pensum, il finit le collège sur une ultime punition scolaire et une claque estivale « Devoirs de vacances. Première leçon » administrée par sa cousine Paméla, épouse du Capitaine Roustoumire.

La Boîte à surprises

Dès l’arrivée en fanfare du 14 juillet à Chantedrine, Robert Smile, maire et père, accueille progéniture et famille avec la rondeur d’un illusionniste. Place Bel-air, il a érigé sa nouvelle invention, la Boîte à surprises, un modèle unique, une villa en bois, dotée d’une hélice aux pales de quatre mètres sur la terrasse.

Pourquoi cette hélice, pensez-vous, pourquoi ces pales ?
  — Pour chasser les moustiques du jardin.
  — Un bon point, Jean-Louis.

La Boîte à surprises sans fondation se meut selon le principe de libération. La souplesse des attaches et la légèreté de la construction pourraient changer les plans des villes chaque matin et épargner la mélancolie. Robert Smile, mère depuis que son épouse est partie pour de grandes vacances définitives, est aussi un inventeur de pièces mécaniques et d’automates entreposés dans une salle privée.
Paul Gilson s’embarque dans une histoire toute faite de plaisir ludique, bien décidé à explorer ses rêves sans se préoccuper des soucis réalistes qui ombrent les tempéraments plus matures.


Le Chant du départ

On dirait le bruit du chemin de fer.
— Erreur, Octave. C’est le dîner qui vient de la cuisine par le tapis roulant.

La villa est un chef-d’œuvre d’ingénierie escamotable et presse-bouton, la famille attablée apprécie selon son caractère. Cousine Paméla et son militaire époux sont peu sensibles à la cascade d’effets spéciaux que Jean-Louis active avec malice.
« Je sais capter l’électricité de l’air pour faire tourner mon hélice, rayonner mes ampoules et mettre en marche l’escalier. Cette explication manque-t-elle de rigueur scientifique ? Soit. » déclare Bob Smile avec désinvolture. Puis il déclenche, depuis son balcon, le feu d’artifice dantesque pour la population en liesse rassemblée sur la place en cette belle nuit du 14 juillet.
La chaleur infernale du spectacle va probablement détraquer le temps, car un vent violent siffle dans les courants d’air. La villa s’envole alors comme « une petite fille qui sort sans la permission de ses parents. » Son créateur est incapable d’« arrêter de force une maison qui veut s’envoler », il estime qu’ils sont en présence d’un « phénomène » semblable à celui du nageur sur la mer morte, la Boîte à surprises» vogue sur un vent compact de forte densité.

Propos en l’air

La villa étanche, ignifuge, et fugueuse aussi, joue la fille de l’air avec sa cargaison d’humains. Tante Daisy, qui dormait aux chapitres précédents, s’est enfin éveillée, elle apparaît pour fredonner des chants d’accompagnement et des comptines, d’inspiration anglaise bien entendu, car Paul Gilson aime leur absurdité.

PROPOS EN L’AIR
qui semblaient venir dans sa mémoire par une nuit plus noire que la nuit des temps :
Enfourchez votre cheval pie
Près de la Croix de Branbury
Vous verrez la belle des belles
Dresser sa jument isabelle,
À chaque doigt bague en vermeil,
Une clochette à chaque orteil.
La reine ainsi porte ses chants
Au carrefour des quatre vents.

 

Elle chantait aussi la chanson de six sous et, prise à son charme, s’enchantait à l’heure où l’aube colle des fleurs de givre sur les vitres :

Mon gâteau parle pour six sous.
Prenez un sac plein de froment,
Ajoutez treize merles blancs
Et faites-les cuire à feu doux.
Mais lorsqu’on coupe le pâté
Tous les merles blancs de chanter.
Voilà sans doute un plat de choix
Qu’on pourrait présenter au Roi. […]

Paul Gilson donne vie à une silhouette poétique et familière, ombre merveilleuse de la mère portée disparue après de plus longues vacances que d’ordinaire. La mort plane sur les histoires de l’écrivain, il l’amadoue en l’observant sous la chair, comme dans cet étrange texte, « La Maison des écorchés » ; il explore son mécanisme chez les automates sans âme, immortels ou sans vie, une dualité qui le fascine ; il la transcende avec les voix qu’il capture pour les ondes radiophoniques, ces voix qui le hantent et dont il fit aussi les personnages d’un récit fantastique « Les Voix en peine ».

« Nous nous demandâmes si, les soirs de flonflons de l’orchestre, les écorchés, sans domino et sans habit noir, ne donnent pas dans l’ombre un bal des victimes, tandis que les terribles yeux de verre reflètent au fond de leurs vitrines les clartés perdues de la nuit. Ou quel somnifère ne doivent-ils pas prendre pour calmer tous leurs nerfs à vif — et dormir ? » ou à propos de ces douaniers suspicieux : « De quoi est-il mort ? demandèrent-ils. Mon client de répondre : Il est mort d’amour. » « La Maison des écorchés », in Merveilleux.

Dans ce roman fantaisiste, les seules prétentions de la voix bien vivante de Tante Daisy seront de charmer l’esprit et adoucir les craintes et la pression atmosphérique, telle une main qui caresse les cheveux et apaise un front enfiévré. Tout le monde à bord s’endort ou veille la garde quand trois coups frappent à la porte. Trois coups de théâtre pour une fin de chapitre, Paul Gilson s’amuse.

Le Parachute du fantôme

La suite me donne raison « Toc, toc, toc, les coups de poing retentirent comme des coups de théâtre. » Et je m’enchante devant le procédé primaire, digne d’une histoire de Guignol, le plaisir deviné est récompensé sans barguigner. « On dirait, chuchota Pamela, qu’on cloue les planches d’un cercueil. », une réflexion morbide planant comme une aile grise sur le chapitre précédent et déjà évoquée de manière plus humoristique dans celui du Chant du Départ.

Vous pouvez tranquillement vivre et, j’ajoute, mourir ici, faute de mieux. La « Boîte à Surprises » est en bois de sapin de la Croix-Pilate. Elle a été construite, d’après mes plans, par Noireau, le fabricant de cercueils.

Ce n’est pourtant pas un fantôme ni la mort qui frappe, mais un passager clandestin, ou plutôt oublié, qui s’éclipsera avec l’indigne cousine Paméla en parachute artisanal, plus séduite par sa fuite de la maison en cavale que par l’inconnu. Au sol, l’écartement augmenté de la voie de chemin de fer, 1 m 60, suivie par la maison envolée, indiquent aux voyageurs leur destination. Sur les traces de Michel Strogoff, ils voguent vers la Russie. C’est la première allusion de Paul Gilson à ses lectures de jeunesse. Il faut savoir qu’il était un admirateur inconditionnel de monsieur Édouard Charton dont il possédait les reliures du Magasin Pittoresque et de Grandville, ce qui n’étonnera personne l’ayant lu.

L’Ange Volatil

Un chapitre plus faible à mon goût. L’Ange Volatil, tombé du ciel par la cheminée, mais il emprunte aussi les tuyaux du chauffage central moderne, est tout de noir vêtu, pour éviter les taches de suie et celles des âmes noires trop nombreuses — après la guerre sous-entend Paul Gilson. Entre deux remarques antimilitaristes dont le Capitaine Roustoumire fait les frais, il nous renseigne sur le sort de Madame, atterrie sans embarras, si ce n’est pour sa vertu injustement soupçonnée, à l’aéroport strasbourgeois.


Paul Gilson doit avoir en tête les aviateurs disparus, et Saint-Exupéry en particulier quand il met dans la bouche de son ange un peu fonctionnaire des cieux (les tuyaux de transport ont des airs de tubes pneumatiques) :

J’ai pour mission de suivre les navigateurs des grands raids, les aventuriers de haut vol. Je leur rends visite pour débattre leur chance et juger les conditions de leur réussite. S’ils méritent le ciel, je leur permets de mourir et je les emmène avec moi. Le paradis n’est pas loin.

Un Repas de Famille

Les automates entrent dans la danse, ou plutôt la musique. Robert Smile distrait l’assistance avec sa musicienne, mécanique à l’image humaine, née trivialement du…

…système des cartons à trous qu’on utilise pour les limonaires de fêtes foraines, les orchestrions des bastringues. Depuis que les musiciens commandent la musique, j’ai pensé qu’il était temps que la musique gouvernât les musiciens.

Le manque de nourriture n’incline pas les auditeurs à la culture préliminaire, le Capitaine rappelle sans subtilité le souvenir du radeau de la Méduse et propose un tirage à la courte-paille. Heureusement, deux messagers ailés délivrent l’équipage d’une situation épineuse en offrant des nouvelles du pays et leurs corps de ramiers en sacrifice. Sans qu’il y soit plus vraiment consacré de lignes, Paul Gilson fera se nourrir ses personnages avec les oiseaux morts s’engouffrant dans la maison volante, une image discordante et étonnante dont je ne vois pas l’origine si ce n’est, peut-être, les restrictions alimentaires subies à l’époque. Pendant ce temps, après les montagnes russes au relief à couper le souffle et la Mandchourie belliqueuse, la Boîte à Surprises survole à présent l’océan Pacifique.

 

La Découverte de l’Amérique

Sans distraction au-dessus de l’océan Pacifique parfaitement calme, le Capitaine encore, s’agite. Bob Smile sacrifie ses bouteilles et voilà le militaire gonflé d’importance, prêt à être mis en perce d’après Jean-Louis toujours insolent. Mais l’abus de boisson entraîne un flot de récits incroyables, et de la part de l’écrivain une autre référence à ses lectures de jeunesse sans oublier son opinion sur le discours infatué et pompeux qu’il méprise chez l’adulte usuel.

Comment peut-il inventer tant d’histoires ? s’inquiéta Jean-Louis.
– C’est très simple mon enfant, répondit Robert Smile, le capitaine doit posséder une collection du Magasin Pittoresque. Son récit prouve la fidélité de sa mémoire et la qualité que prennent ses souvenirs lorsqu’il a trop bu. C’est à jeun qu’il perd toute sa séduction.

 

Vous arrêterez-vous à la Maison Blanche pour saluer le Président des États-Unis ? Êtes-vous partisan du régime sec ? Que pensez-vous de la relativité ? Rendrez-vous visite aux étoiles d’Hollywood ? Avez-vous l’intention de violer les secrets de la planète Mars ? Croyez-vous qu’un jour la science pourra garantir la paix des nations ?

C’est l’Orégon que Paul Gilson a choisi de survoler, à la rencontre d’un représentant américain des lois antialcooliques. L’insupportable Américain engloutira le contenu de la cave en les menaçant d’un automatique, avant de partir avec un pot-de-vin. Il est suivi d’un reporter venu en dirigeable parfaitement assommant — le journaliste est assommant, et non le ballon, bien entendu.

Il faut noter que les questions de la presse n’ont pas beaucoup changé depuis 1946…

 

 

Et le Vendredi suivant…

C’est un jour d’abattement, sept jours pour arriver peut-être à la fin du monde.

Mangée par un acide, la terre devenait liquide ; l’eau charriait son limon de cataplasme avec des bateaux perdus. Le capitaine chuchotait : Notre dernier jour est venu. Respirez l’odeur de la fin du monde. Nous allons mourir par les gaz.

La guerre finie depuis peu se rappelle violemment aux mauvais souvenirs de l’écrivain.

La tour Eiffel est en vue puis dépassée sans encombre, les voyageurs débarrassent le plancher des oiseaux morts et leur duvet. Enfin la Boîte à surprises descend, mais les automates se détraquent en chutant. Un nouveau drame ? Non, après tout, ce ne sont que des mécaniques, Robert Smile, à peine désemparé, constate qu’il lui faudra les remonter, il n’est pas question de se laisser achever par l’adversité. Par un hasard ou une destinée providentielle, le fondement sans attache, bâti pour devenir une piscine estivale à l’intention des habitants de Chantedrine, s’est rempli d’eau de pluie et la villa vagabonde atterrit dans une gerbe liquide. Ce qui prouve qu’avoir un été pluvieux peut être un avantage, quoi que nous en pensions en cette année humide de 2014.

FIN !

Il serait injuste de ne pas toucher un mot de Jean Image dont les illustrations pour La Boîte à surprises suivent la trame colorée et vive du roman de Paul Gilson. Imre Hajdu, de son vrai nom hongrois, est plus connu pour ses activités au cinéma et à la télévision qu’il a enchantés de nombreuses séries animées. Jean Image avait en commun avec Paul Gilson son attachement à l’enfance et consacra sa carrière à mettre en scène des histoires pour les plus jeunes. Comme Paul Gilson, il n’a pas conservé une étoile resplendissante dans le panthéon des artistes, mais il attire des admirateurs discrets et fidèles. Beaucoup se souviennent encore de Joë au pays des insectes ou de Kiri le clown que les enfants regardaient sur la chaîne de l’O.R.T.F. au début des années 1960. Arago X 00 1 plus tardif, a moins marqué les esprits, déjà un peu suranné à sa diffusion. Quelques films, peu armés pour lutter avec le géant Disney et ses budgets bien plus colossaux, ont cependant traversé le temps grâce à leur charme loufoque : Les Fabuleuses Aventures du légendaire baron de Munchausen (1979) ou Le Secret des Sélénites (1984).

…FIN ! pour de vrai !

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