Paul Gilson, l’enchanteur discret des ondes et des mots

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Paul Gilson, Germaine Decaris, Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1959.

Paul Gilson

SAN FRANCISCO NIGHT…………………………

pour C. …………………….

 

Je crois qu’il n’a jamais fait plus noir que ce soir
où la sirène pleure au bord du monde en ruines
mais la merveille vaut le prix du désespoir
…………Aussi profil perdu d’amour je te dessine

en aveugle et j’attends nocturne de l’enfance
que l’enchanteur ranime un oiseau mort de froid
sans avoir révélé le secret de la chance
Amour amour toujours dans mon rêve à l’étroit

 

Addis Abebba, 1934. Ce fauve était déjà grand pour son âge. (in Paul Gilson, Seghers 1959).

Paul Gilson fut surtout un homme de radio. C’est à ce titre que les mémoires s’en souviennent généralement. Pourtant, il fut bien autre chose : passionné du cinéma muet, il en tourna ; admirateur de Guillaume Apollinaire, il devint poète ; auteur théâtral, marionnettiste et fasciné par les automates, il les introduisit à chaque fois que cela lui fut possible ; ému par les rencontres populaires fantasmées de Blaise Cendrars et Mac Orlan mais aussi de Poe, il alla chercher la fantaisie extraordinaire de tous les jours — avec la voix humaniste qu’il avait adoptée, il pourrait être envisagé comme un prédécesseur de Daniel Mermet — ; enfant à jamais, il écrivit des histoires et des poèmes pour ceux qui n’ont pas réussi à grandir tout à fait. Un homme discret et amical que la pudeur empêcha d’accéder à une reconnaissance publique. C’est à sa mort que ses contemporains mesurèrent l’importance de la voix talentueuse qu’ils venaient de perdre. Cette révélation n’a pas résisté au temps, à la fin des années 1990, un article de Pierre-Marie Héron le constatait désolé. Aujourd’hui, Paul Gilson continue d’être découvert puis oublié. Seule consolation, à chaque résurrection, son charme agit comme au premier jour et ceux qui succombent à la rencontre éprouvent la joie secrète d’entrer dans un cénacle intime et chaleureux.

Leonor Fini pour la couverture d’Enigmarelle, Seghers 1963.

De nombreuses personnalités ont parlé beaucoup mieux que je ne pourrais le faire de Paul Gilson, des artistes lui ont apporté leur tribut : Dignimont, Musidora, Leonor Fini ou Max Fleisher, oui, celui des studios d’animation.

Il n’aura de son vivant aucunement occupé sa place, il n’a rien fait pour cela […] Quand ce poète-ci l’emportera-t-il sur la mode à rebours des gens de goût ? Les paris sont ouverts avec cette tombe.

Aragon, in Lettres françaises, 1963.

[…] l’univers qu’il portait en lui, univers d’ombres et d’enfance, “tout entier issu de l’enfance”, de l’irréel et du merveilleux, avec la mort toujours en ligne de mire.

P.-M. Héron

C’est ainsi qu’il collectionne les vieux airs, qu’il interroge tour à tour les figures de cire, les affiches, les gouaches et les témoins vivants du passé, vétérans du music-hall ou vieilles gens de ce village où les coqs picorent les étoiles.

Jean Négroni in l’Hommage de la RTF au poète en septembre 1963.

 

(Gilson est) un des très rares poètes de notre temps dont les poèmes sont faits pour être dits, dits à haute voix ». « Cette poésie qui, à la lecture, nous offre surtout l’univers du merveilleux, prend, à l’audition, une dimension supplémentaire. Une tendresse, un désespoir, une force de sympathie humaine qu’il dissimulait souvent, par pudeur, dans les replis des mots, y apparaissent soudain et y ajoutent un accent supplémentaire. Sous les jeux de la rêverie, on entend plus nettement le battement d’un cœur.

Georges Neveux in l’Hommage des Lettres françaises, 1963.

Qui voudrait connaître mieux ce touche-à-tout merveilleux consultera les travaux de son meilleur zélateur aujourd’hui, Pierre-Marie Héron. Un article disponible en ligne, centré sur la carrière de Paul Gilson, homme de radio, offre un regard sur toutes les activités du poète et écrivain : Paul Gilson : l’ombre de l’œuvre, dont viennent d’ailleurs les citations ci-dessus.

Hommage de Max Fleisher in Poètes d’Aujourd’hui, Seghers, 1959.
in Poètes d’Aujourd’hui, Seghers, 1959.

 

Parmi les témoignages, il ne faudrait pas omettre une belle rencontre sur papier. Le soixante-dixième numéro de la collection Poètes d’Aujourd’hui, paru en 1959 chez Seghers, est une biographie affectueuse, admirative, rêveuse et chère au coq à l’âne qui guidait Paul Gilson. Écrite par Germaine Decaris, Femme de Lettres proche des surréalistes et journaliste, le portrait mêle une discussion à bâtons rompus avec le poète, l’auteur, et l’ami, leur monde quand ils grandissaient aux côtés des talents qu’ils admiraient, Desnos, Cendrars, les souvenirs de leur jeunesse. Pierre Mac Orlan intervient pour un hommage qui ne manque pas de se laisser contaminer par les émotions que faisait naître Paul Gilson ; une biographie tendre complétée par de nombreux poèmes et photos.

Quand je ferme les yeux, quand j’essaie de me souvenir de mon mieux, quand je tourne les pages du journal imagi­naire que je n’ai pas tenu, je vois ceux qui furent mes amis d’alors et le sont restés. Je vois Blaise Cendrars qui rapportait dans ses valises, bariolées d’étiquettes de toutes les couleurs, la poésie du Monde entier… Je le vois tel qu’autrefois, avec sa manche vide et son unique main franchement ouverte pour les amis… J’entends l’auteur de l’Or me raconter une fois de plus ses Histoires vraies. D’autres voix se mêlent à la sienne. […]

Paul Gilson in Poètes d’Aujourd’hui, Seghers

 

S’immerger dans l’univers singulier de Paul Gilson « l’écrivant » exige de quitter les rivages connus. Quelques livres, romans, essais ou poésie, et de rares disques existent en occasion, peu édités, recherchés ; beaux aussi. Le plus intime semble être Merveilleux* qui recueille des textes à mi-chemin entre fiction et documentaire, alliant une érudition précise et un parcours rêvé dans les vastes domaines imaginaires, arpentés et aimés : le cinéma muet, Londres, les lieux étranges, en quête d’indices sur la machinerie vivante, les automates, les écorchés, la Belle Endormie de Madame Tussaud… (Merveilleux, Calmann-Lévy, 1945). Sa fascination pour les automates est certainement celle qui a nourri avec le plus de force l’imagination de l’écrivain, du poète et de l’homme d’images.

Il serait surprenant (comme le remarque Helmholz) que les fabricants d’automates eussent fourni tant d’efforts, dépensé tant d’années pour la construction de leurs merveilles s’ils n’avaient pas eu l’espoir de résoudre ce problème : la recréation de la vie.

Les illusionnistes fabricants d’androïdes peuvent faire preuve de scepticisme, parce qu’ils connaissent le secret de leur machine, ils se croient quitte à force d’adresse et refusent d’admettre un mystère qui les dépasse.

Qui déshabillerait les androïdes, qui chercherait à surprendre les secrets de leur nature sans subir aussitôt le malaise qu’on éprouve dans les salles de dissection ?

Ou plus pessimiste encore :

Les machines n’ont pas fini de prendre leur revanche à l’exemple des Robots de la pièce Karl Tchapek : R.U.R. (Rezon’s Universal Robots). Il suffit pour s’en convaincre de considérer ces automates dont nous n’avons pas parlés jusqu’ici : les androïdes qui portent leurs tickets de présence aux pendules pneumatiques, qui s’engouffrent chaque jour mécaniquement dans les bouches du Métro, tous ces corps sans âmes qui semblent promis le soir à la “Chambre des Horreurs” et voués, le matin, à la guillotine sèche du Musée de Mme Tussaud.

Extraits de « Le Cercle des automates » in Merveilleux.

* Un recueil véritablement merveilleux que j’espère pouvoir mieux présenter plus tard.

La bête qui mangeait les jouets (enregistrement pour la radio/ORTF) Illustration d’Elisabeth Beauvais.

 

L’I.N.A. propose quelques documents compilés en format numérique, contre monnaie sonnante et trébuchante. Cette pièce radiophonique de 1950, par exemple, L’Homme qui a perdu son ombre, adaptée du célèbre récit fantastique d’Aldebert de Chamisso ou, mieux encore, la dernière œuvre personnelle, La bête qui mangeait les jouets cachée dans le Jardin d’Acclimatation, parue en volume aux éditions La Presse à Bras de Monteiro en 1955.

La bête qui mangeait les jouets, une illustration de V. Monteiro, 1955, La Presse à Bras de Monteiro.

C’est néanmoins sur un site privé qu’on peut enfin trouver une interprétation par Laurent Terzieff d’un des poèmes parlés de Paul Gilson, L’Arbre aux oiseaux chanteurs in Enigmarelle, Seghers, 1963.

 

Dans les travaux plus confidentiels, il faut aussi mentionner la traduction d’À travers le miroir de Lewis Carroll pour Denoël et l’adaptation en livret de l’opéra de Leoš Janáček, L’Affaire Makropoulos, d’après la pièce de Karel Čapek. Un romancier qu’il connaît bien grâce à R.U.R. et ses robots, des automates futuristes.

 

 

Cette notule n’a d’ambition que d’entrebâiller la porte vers les mondes extraordinaires de Paul Gilson, l’homme de mots. Elle servira d’introduction à une excursion naïve, en oubliant cette fois toute prétention à une maturité trop sérieuse, pour servir une facette méconnue plus encore de cet enchanteur discret.
Une histoire (à suivre ) ici et bientôt dans Paul Gilson, La Boîte à surprises : une maison buissonnière et des automates.

 

 

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