« L’Aventure de Larondelle (Drame chirurgical) », de Pierre Denime, est paru dans L’Auto du 12 février 1925.
L’Aventure de Larondelle (Drame chirurgical)
Voilà bien longtemps que je n’ai vu Larondelle.
Vous savez bien… Larondelle… notre ancien as de la route au palmarès si chargé…
Que l’oubli vient donc vite, Grand Dieu, vous n’y pensiez déjà plus !…
Je l’ai aperçu pour la dernière fois en haut de Dourdan faisant des yeux tout ronds au passage du grand Francis lors de sa dernière entrevue avec Masson.
… Et pourtant… il a tenu une grande place dans notre monde du cyclisme et il ne doit pas être trop tard pour vous tenir au courant des motifs qui l’ont fait quitter le sport.
Sitôt la guerre finie, Larondelle s’était affirmé le meilleur de nos routiers et toutes les grandes épreuves avaient été pour lui l’occasion d’autant de victoires.
Invincible, il tenait le haut du pavé, et personne ne pouvait parvenir à lui ravir cette suprématie, quand — tout arrive — la forme, capricieuse, impondérable, le quitta !
Il voulut lutter, il eut beau mener une vie très sévère, s’entraîner de façon parfaite, rien n’y fit. L’âge avait parlé, le ressort était cassé !…
Vous ne doutez pas que ses collègues en cyclisme en profitèrent pour se disputer entre eux les premières places des courses, où désormais il ne jouait plus qu’un rôle des plus effacés.
Au moment où ces choses se passaient, la grande presse ne parlait que des sensationnelles expériences de rajeunissement du docteur Voronoff.
Très affecté de ses insuccès continuels, quelle idée germa dans le cerveau de Larondelle ?
Je ne sais… toujours est-il qu’un jour, passant devant la demeure du célèbre chirurgien je vis Larondelle en sortir.
Vous devez bien avoir à penser si le fait m’intrigua, et les bons amis auxquels je fis part de ma découverte devinrent aussi impatients que moi de savoir comment allait se comporter Larondelle dans le 3e Paris-Carcassonne, qui se courait trois jours plus tard.
Le soir du départ, je l’avisai et, d’un clin d’œil, il me renseigna sur ses intentions belliqueuses. On allait voir du travail !
Je dois vous avoir dit que le règlement interdisait la roue libre ?
Donc… tous les coureurs étant rassemblés au milieu d’un concours de peuple des plus imposants, le starter donna le signal du départ et……………
Alors que tous les coureurs fonçaient tête baissée, Larondelle, lentement, partit… à reculons !!!
J’eus le mot de l’énigme par un ami du docteur : celui-ci s’était trompé et avait greffé à ce pauvre Larondelle des glandes d’écrevisse !!