La grande aventure de Pinocchio dans l’espace commence avec celles que racontait Carlo Collodi…
…quand le héros n’était encore qu’une marionnette en bois en quête d’humanité.
De nombreuses adaptations, de suites et de séquelles, réalisées par des imitateurs, ont vu le jour depuis et, au XXe siècle*, le cinéma s’en est emparé. Le dessin animé de Walt Disney demeure probablement le plus connu, adapté de l’histoire originale.
Au début des années 1960, un animateur belge décide de porter le petit garçon articulé au cinéma, souhaitant rivaliser d’invention avec son prédécesseur américain. Raymond Leblanc est à la tête d’une maison de production en Belgique, Belvision, et ne manque pas d’idées s’il n’est pas toujours bien rigoureux sur la qualité. Puisque l’époque est à la conquête spatiale, son Pinocchio ira dans l’espace, une recette qui apportera à son studio gloire et argent. Aussitôt dit, aussitôt fait, enfin presque : le projet débute et les premières images apparaissent dans Tintin n° 724 du 6 septembre 1962. Belvision collabore avec les studios Swallow des États-Unis qui lui assureront une carrière anglo-saxonne, et encore aujourd’hui, l’affiche américaine pérennise l’existence du métrage, car l’affiche en langue française semble n’avoir jamais vu le jour, introuvable. En 1965, sous la direction de Ray Goossens, le film d’animation sort en salles, établissant un joli score de fréquentation tout en entretenant une relative popularité jusqu’en 1966. Dès la fin du XXe siècle, le dessin animé a quelque peu été oublié, parfois exhumé, rafraîchi et diffusé à la télévision ou sur support média.
* Voir La petite clé d’or, ou les Aventures de Bouratino, Alexis Tolstoï : Un Pinocchio russe
Belvision, la vision animée des petits mickeys de l’école franco-belge
Même si le studio Belvision n’atteindra jamais la renommée mondiale de Walt Disney, il est demeuré dans la mémoire des enfants francophones depuis les sixties jusque dans les années 2000 : des longs ou courts métrages, des séries télévisées, Bob et Bobette, Astérix, Lucky Luke, les Schtroumpfs, etc. et surtout Les aventures de Tintin diffusées et rediffusées à la télévision. Tous les héros bien connus de la bande dessinée franco-belge trouvent leur place dans le catalogue des studios. Parmi eux, quelques sujets venus de la littérature enfantine classique comme Gulliver et donc, Pinocchio dans l’espace. D’abord plébiscité dans la revue Tintin, ce dernier donnera lieu dans l’année à venir à quelques bonus dérivés, une adaptation en album et des chromos publicitaires.
Un livre consacré au studio, peut-être un peu ironiquement titré Belvision, le Hollywood du dessin animé européen, par Daniel Couvreur, est paru en 2013 hors collection chez Lombard. Je ne l’ai pas eu en main, mais cette étude a retenu l’attention et une bonne appréciation générale. Elle offrait justement une reprise en DVD du dessin animé Pinocchio dans l’espace.
Trailer en anglais de Pinocchio dans l’espace (Pinocchio in Outer Space). Les versions françaises ne semblent pas exister : un problème de copyright ?
De l’animation à l’illustration, l’édition belge participe à la conquête du grand écran
Alors même qu’il sort dans les salles de cinéma, dans une campagne promotionnelle bien orchestrée avec la revue Tintin qui publie un trailer en forme de bande dessinée, un grand album illustré est lancé à la fin de 1965 par les éditions Lombard, suivie de la version Dargaud évidemment.
L’album est une bonne surprise, soigneusement réalisé, il est adapté par Louis Musin qui transforme agréablement le scénario du film en véritable histoire à lire. Les illustrations ont été confiées à Willy Lateste (1930 – 1967) chef animateur chez Belvision, qui a également conçu la bd de lancement parue dans Tintin (voir Lambiek Comiclopedia). Ce sera probablement le dernier travail de cet artiste tôt disparu. Avec une attention identique, le dessinateur transcrit pour le papier les héros animés aussi vivants et colorés qu’il est possible pour ce format.
Le scénario de l’animé est bien entendu repris : le jeune Pinocchio de l’ère spatiale était un véritable petit garçon quand, à la suite de bêtises répétées, la fée bleue excédée l’a métamorphosé en pantin. La fée réside dans les cieux en compagnie de sa mère, et toutes deux s’accommodent bon cœur contre mauvaise fortune de tous les engins qu’envoient les hommes. Mais davantage que les incursions mécaniques, les nouveaux dangers aliens les troublent, en particulier une baleine de l’espace, Astro, absolument terrifiante.
Pinocchio, s’il veut retrouver ses prérogatives humaines, devra accomplir quelques actions extraordinaires grâce à ses études de géographie spatiale, et aussi quelques amis. Avec son compagnon Twortu, un extraterrestre proche de notre tortue (et avant les ninjas à noms empruntés à l’art de La Renaissance), il va défaire la terrible baleine, et en d’autres lieux, quelques monstres de l’espace tout droit issus de l’imaginaire de l’anticipation ancienne.
Le duo Willy Lateste et Louis Musin est également l’auteur d’un second album, daté toujours du troisième trimestre 1965, découvert chez Dargaud cette fois (sans pouvoir infirmer ou confirmer une publication Lombard). Pour les plus jeunes, il est encore plus illustré.
Et parce qu’en Belgique, tout finit souvent en croquant du chocolat
Le succès du film va profiter à la chocolaterie belge Jacques dans le courant de l’année 1966. Elle exploitera la licence pour lancer ce fameux support que tous les enfants adorent encore, l’album à vignettes. Ces petites images chromo que les gourmands collectionnaient à l’époque pour les coller dans le livret reçu par courrier. Elles sont directement reprises de l’animé tandis que la publicité, publiée au moins dans la revue Tintin, semble avoir été dessinée par Willy Lateste, comme la tête du héros sur les emballages des plaques chocolatées.
Et pour vous régaler les yeux, essayez une halte sur le blog Le Monde des chocolateries belges.