Poésie – Les Chants de la Solitaire par Lise Lamarre – 1931

1
Portrait de Lise Lamarre in Les Chants de la Solitaire - Éditions de la Revue Mondiale, 1931.

L’histoire des ouvrages qui tombent entre nos mains ne cessera jamais de me fasciner.

Aujourd’hui, Les chants de la solitaire d’une certaine Lise Lamarre s’est échoué sur mon étagère à poètes. Un exemplaire non coupé, si peu important en ce siècle qu’il ne laissera la trace d’aucun souvenir, il est de ceux qui, déjà évaporés dans les limbes d’anciennes lectures, replacent son auteur dans le mausolée des Éteints.

C’est après avoir reconnu la vendeuse de l’an passé, au même endroit, que je me suis penché hâtivement dans ses cartons pour essayer de retrouver l’ouvrage déjà tenu en mains, mais bêtement laissé pour d’autres encombrants achats.

Joie à 0,50 € dans la besace, m’écartant au calme dans un coin, loin des grasses fumées « barbecuesiées », j’entreprends de feuilleter l’univers de cette Lise Lamarre, au joli portrait songeur glissé au début de l’ouvrage.

J’éprouve un léger agacement de voir que la dédicataire, Madame José Bozzi, n’a pris le temps d’entreprendre la découpe chantante des pages de son amie solitaire…

Qui est Lise Lamarre ?

Les Chants de la Solitaire est un recueil de poèmes de Lise Lamarre (1894 – 1951), paru en 1931 aux Éditions de la Revue Mondiale. Le livre a été en son temps couronné par l’Académie française. Lise Lamarre a écrit quelques autres ouvrages (contes, romans…), mais visiblement peu de poésie. Elle était en outre journaliste et chroniqueuse. Deux livres posthumes, Précocité et Gouttes de lumière, ont été édités en 1954 et 1959, on peut les trouver parfois accompagnés d’une dédicace du mari de l’auteure, par exemple : « en souvenir d’une solitaire qui savait illuminer d’un sourire les êtres et les choses ». Son dernier livre est Prisons folles (1949) traitant de son incarcération à la libération, qui aurait fait suite à une « arrestation arbitraire provoquée par les accusations de deux crapules, faux résistants à la solde des nazis » (précision de Jeanne Lenglin dans l’avant-propos de Gouttes de lumière).

Autre renseignement intéressant sur cette femme : « Lise Lamarre est écrivain, critique et poète. Son recueil Les Chants de la solitaire (1931) a notamment été couronné par l’Académie française. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle accomplit avec son mari plusieurs actes de résistance. Mais, à la Libération, tous deux sont arrêtés et incarcérés pour collaboration à la suite, semble-t-il, d’un coup monté par deux agents doubles. Le dernier ouvrage de Lise Lamarre, Prisons folles, est consacré à cette épreuve. »

Ce petit livre ne demandait qu’à ouvrir ses poèmes, peut-être pas du meilleur cru, enfin… qui sait ? Mais une chose est certaine, je sais qu’ils attendaient ma lecture.

 

Trois poésies extraites du recueil

Les Chants de la Solitaire par Lise Lamarre – Éditions de la Revue Mondiale, 1931

 

THÉ MONDAIN OU LE MAUVAIS POÈTE

Dès le seuil du salon je pressens un malheur,

Un cercle de fauteuils rébarbatif m’entrave ;

Dans le silence épais, l’instant me paraît grave…

Ah ! j’avais trop compris, voici le rimailleur.

C’est bien ma chance à moi, il commence : j’arrive…

Adieu toasts blonds, gâteaux, chocolat onctueux,

L’heure n’est plus, hélas, aux goûters somptueux,

Le poète est debout pour user sa salive.

Il va, bramant, râlant, le masque chaviré,

Ses bras en ailerons malmenant sa jaquette,

Éperdu, délirant, la cervelle en goguette,

Oubliant tout… hormis ses grands airs d’inspiré.

Quand d’admiration se pâme la baronne,

Chaque belle madame en atteste le ciel

Et s’échauffe à trouver le mot essentiel

Qui comblera bientôt le sot qui s’époumone.

Mais le clan a bondi… Cris d’amour ! C’est la fin,

Béni soit le Seigneur ! En avant les sornettes :

« Maître c’était divin ! » Alors, sous ses lunettes,

Le Maître-sot s’ajuste un air de séraphin.

Et moi, tout bonnement, je voudrais qu’on le fesse !

À ces femmes il met la cervelle à l’envers,

Et puisque ce nigaud affirme dans ses vers

Qu’il a soif de l’éther !… Qu’à l’éther on le laisse !

()

 

LES RIENS

C’est un rien : un désir qui passe,

Une espérance qui se lasse.

Un souvenir lointain qui meurt,

Un cœur qui se trompe de maître,

Un regret étonné de naître,

Un geste de mauvais semeur.

C’est l’ongle de la jalousie,

Le grelot de la fantaisie,

Ces riens qui détournent le cœur…

C’est un pressentiment morose,

Un cher regard où l’on suppose

Que se glisse un éclair moqueur.

Mille riens que je ne sais dire,

Que nous ne cessons de maudire ;

Ronde de démons familiers,

Ils vont, viennent avec les heures,

Glissent sans bruit dans nos demeures

Comme d’invisibles geôliers !

()

 

GOÛTER D’AUTOMNE DANS LA CUISINE

 

Le plafond bas, solive de ses poutres brunes,

Fumé, roussi, semble un étrange camaïeu ;

Fantastique imagier qui délasse mes yeux.

À l’heure du caillé, du miel fin ou des prunes.

 

Le carrelage rit aux faïences communes,

L’horloge ferme à clef des ors prestigieux

Et le chat, en bâillant, s’en vient, astucieux,

Adorner mon goûter de grâces importunes.

 

Entr’ouvre les rideaux, sur la table polie

Un rayon descendra de la vitre pâlie :

Il aime ce bois lisse et luisant pour dormir ;

 

Et dans ce soir bénin aux grâces amollies,

Mon cœur rasséréné sentira s’affermir

L’amour de ce foyer rustique qui le lie.

1 COMMENTAIRE

  1. Messieurs
    Pour info, nous pouvons lire dans le Journal de Léautaud au 3 août 1937 :
    « Il y a eu des fêtes commémoratives, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en l’honneur de Barbey d’Aurevilly. L’Ordre en rend compte, sous une signature féminine : Lise Lamarre. Fort bien, d’ailleurs. « Les célébrants (les orateurs) sont de qualité », écrit-elle, et elle les énumère : Gaston Rageot, Marcel Batilliat, Léo Larguier, Néel, Pierre Arthur. De qualité à ses yeux parce que représentant la Société des Gens de Lettres, l’Académie Goncourt, la Société des Poètes français, la presse régionale. Prestige des titres officiels, en quelque sorte. Les mêmes, auxquels se trouve ajouté Georges Lecomte, sont plus loin traités de « grands artistes du verbe ». Le mot : artiste peut s’entendre aussi comme comédien, il est vrai.
    « Ce morceau n’est pas moqueur comme je le voudrais. »
    Bien à vous
    Michel Courty
    https://leautaud.com

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.