Raoul de Navery, un écrivain d’aventures du XIXe siècle à découvrir

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Saint-Malo, ville de coupe-jarret, une vision plus rare.

« C’était alors un quartier sinistre que celui de la rue de l’Échaudoir, dans la ville de Saint-Malo. On y entendait tour à tour des rugissements de bœufs effarés, comprenant que les paysans qui les amenaient les vendaient à des bourreaux ; des bêlements plaintifs de moutons bruns, regrettant la lande et la bruyère courte des collines ; des plaintes de chèvres affolées.
Au tumulte de cette rue se mêlaient, durant le jour, les furieux aboiements de quinze chiens qui, furieux d’être enchaînés, faisaient retentir toute cette partie de la ville des éclats de leurs voix. »

C’est ainsi que débute le court roman Le guet de Saint-Malo sous la plume de Raoul de Navery (1829 – 1885), publié en 1928 par les éditions Gautier-Languereau dans une collection tout public, Romans à Lire, des récits de 64 pages en réédition.


Raoul de Navery est une dame catholique du XIXe siècle mais, à la différence de ses consœurs « très-rasoir » (vous me pardonnerez l’expression) dont Zénaïde Fleuriot était le fer de lance, chaque récit que cette romancière, de son vrai nom Eugénie-Caroline Saffray, a écrit et que je parcours, étonnée, est aussi un bon roman d’aventures. Malgré le milieu soucieux de convenances dans lequel elle vit, elle campe des personnages originaux et attachants. Dans Le guet de Saint-Malo par exemple, l’un des héros est un « chienier », gardien difforme des molosses, dont l’allure dément le comportement. Victime du sort, sa condition est tracée avec une perspicacité rare chez les auteurs gnangnan des éditions catholiques. Gamin, Jean devint orphelin à la suite d’une explosion, sa mère déjà morte de misère, son père trépassa dans l’accident d’une carrière et l’enfant fut défiguré. Rejeté par l’horreur qu’il provoque à sa sortie de l’hospice, il erre affamé et sans toit :

« L’enfant avait faim. Quoique sa laideur et sa misère l’eussent à la fois rendu peureux et défiant, il se glissa dans le chenil par la porte entr’ouverte, rampa sur le sol et attira un des morceaux de pain, qu’il se mit à dévorer. Un grondement formidable accueillit cet acte audacieux ; les bull-dogs froncèrent leurs mufles bruns et le regardèrent avec une fixité menaçante. L’enfant recula davantage dans l’angle du chenil et continua à manger. Mourir pour mourir, autant valait finir sous la dent des terribles molosses que d’expirer lentement au milieu d’atroces tortures. La bande des quinze chiens lui faisait face, les pattes en avant, la tête allongée. On eût dit qu’ils attendaient, qu’ils se consultaient. Sans doute, ils comprirent que l’enfant avait besoin d’eux et, plus compatissants que bien des hommes, ils l’adoptèrent. Le plus haut de taille s’avança avec lenteur ; puis, se dressant tout à coup, il appuya ses pattes sur l’épaule de Jean et lécha son visage sillonné de blessures. »

Le « chienier » de l’époque trouve l’enfant endormi au milieu des chiens et, stupéfait plus qu’attendri, il le garde comme aide. Mais encore, Raoul de Navery ne cède pas à la guimauve écœurante :

« Noisy, le vieux « chienier », dont il [Jean] était devenu l’aide, n’était pas un méchant homme. Éprouvé cruellement dans la vie, il se repliait sur lui-même et ne cherchait ni à instruire ni à consoler Jean. Il avait pu lui donner un asile et du pain, il ne lui offrait ni consolation ni tendresse. Son cœur était enseveli dans la tombe de ceux qu’il avait perdus.»

Une plume sympathique et imagée pour ce roman populaire, des personnages moins stéréotypés, de l’action et de l’aventure, oui, Raoul de Navery vaut l’étape pour le point de vue. Déjà, j’avais été favorablement impressionnée par son roman Martin Tromp, écrit au cours des années 1880, un humanisme éclairé dans un périple initiatique sur les mers exotiques : elle développait une amitié égalitaire et solidaire de son jeune héros avec un gamin indigène, dont l’intelligence valait celle de l’adolescent européen. Plus étonnant, un personnage animal apparaît, un singe doté de sensibilité et d’une raison primitive, intéressant !

J’ai en main un troisième titre de la romancière, La fille de l’imagier, un titre qui attise déjà l’imagination. De nouveau un départ alléchant pour ce roman historique qui commence dans une rue de Bruges, à l’époque de François 1er, quand l’imagier, un sculpteur flamand, et sa fille se font cerner par une troupe de soudards…

Le guet de Saint-Malo, Gautier-Languereau Romans à Lire n° 31, novembre 1928, 64 pages.
La fille de l’imagier, Gautier-Languereau Romans à Lire n° 23, juin 1928, 64 pages
Les illustrations ne sont pas signées et ne manquent pas de charme naïf.

Le troisième roman de la collection en place dans mes rayons vérifie mon assertion à propos des romans trop catholique pour être saint : un roman dramatique pétri de sentiments dégoulinant de vertu… La couverture est bien meilleure que l’ensemble du récit, qui n’a rien, absolument rien de fantastique, ni au propre ni au figuré. Par contre, la dame évaporée est bien licencieuse pour une édition Gautier-Languereau !

Mario Donal : La revenante, Gautier-Languereau Romans à Lire n° 37, janvier 1929, 64 pages. roman dramatique.

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