Régis Messac – La Résurrection des fleurs (Fragments du journal d’Acapsu, technicien de l’an 4440) (1933)

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À la fin des années 1920 et courant 1930, Régis Messac a publié une série d’articles dans Le Quotidien : « Où en est la sélection ? » (19 octobre 1933), « La Grande pitié des bibliothèques de classe ! » (25 janvier 1934), « La Classe qui dort » (21 février 1935), « Considérations sur la civilité puérile et scolaire » (22 août 1935), etc.

Ainsi que quelques contes : « La Douleur du retour » (11 décembre 1933) et « Justice » (30 janvier 1934), par exemple.

Il y a aussi publié plusieurs romans, sous les pseudonymes Gontran Lenoir : Le Mystère de Monsieur Ernest (1928), Ardinghera (1931), La Taupe d’or (1934-1935) et Laurent Zurbarran : Cinis in cinerem (1936).

Mais c’est un conte en particulier qui a attiré notre attention : « La Résurrection des fleurs », sous-titré « Fragments du journal d’Acapsu, technicien de l’an 4440 », publié le 27 décembre 1933.

4440 ?… Régis Messac a bien publié « Fragments du journal d’Acapsu, technicien de l’an 3440 », dans la chronique « Propos d’un utopien », au sein de la revue Les Primaires (textes réédités en 2015, dans la collection Hier & Demain des éditions Ex-Nihilo. Avec une préface de Natacha Vas-Deyres). Mais pas en l’an 4440 !

Sans être spécialiste de Régis Messac, ce texte ne m’est pas familier. De plus, je n’en ai trouvé aucune trace bibliographique (toutefois, la majorité des mes nids à poussière étant encore en cartons, mes recherches sont, de ce fait, très limitées…)

Ce texte a-t-il été recensé ? Les spécialistes apporteront une réponse, j’en suis certain !

Pour le plaisir, nous vous proposons aussi la lecture de « Le Professeur Talkinghorse et l’idée de génie » (le « cheval parlant » ??? mouarf !!! ^_^ ), paru sous le nom de plume Laurent Zurbarran.

La Résurrection des fleurs

(Fragments du journal d’Acapsu, technicien de l’an 4440)

Depuis que j’ai été nommé gardien des archives au laboratoire de biocœnelogie, un grand calme m’envahit. Je n’ai pas de collaborateur. À errer seul dans ces vastes salles où demeurent les traces des recherches passées, j’échappe presque sans retour à la vie présente et me laisse aller à reconstituer par la pensée la vie de nos lointains ancêtres. Quelle devait être différente de la nôtre, cette vie entourée d’une multitude de vies étranges qui la nourrissaient, mais aussi, bien souvent, l’étouffaient. Maintenant, nous avons tout réduit à l’inanimé, qui se plie mieux à l’esclavage. Nous nous nourrissons de plasmodes, organismes artificiels non cellulaires, facilement assimilables, mais bien différents des « animaux » et des « végétaux » d’autrefois. Nous avons peine, d’ailleurs, à nous représenter ce que pouvaient être ces « végétaux » et ces « animaux ». Un petit nombre de types d’animaux subsistent encore, entretenus à grands frais et à grand peine dans les zoo-museums, mais des « végétaux » il ne reste plus guère que le souvenir. Après la grande sécheresse de l’an 3000, succédant elle-même à une période d’inondations, ils avaient presque tous disparu, et la rationalisation qui suivit élimina les espèces survivantes comme inutiles, ou même dangereuses. Elles pouvaient servir d’abri aux insectes, contre lesquels on avait entrepris une lutte à mort. Ainsi, nous ne verrons plus jamais de nos yeux ces « verdoyants feuillages » et ces prairies « émaillées de fleurs » dont nous parlent les œuvres de l’antiquité (1).

Saison n3. — 201e jour. — Hier, en reclassant de vieux instruments hors d’usage dans la salle des archives de biochimie, j’ai fait une singulière découverte. Je dis singulière, bien qu’elle n’ait certainement aucune importance. Il s’agit d’un petit nombre de corps de forme grossièrement tronconique, de couleur ternes, formés de plusieurs couches superposées. L’analyse décèle la présence d’un grand nombre de composés carbonés d’un type archaïque, analogues à ceux des premiers plasmodes, dont la composition était calquée sur celle des anciens végétaux. On y rencontre aussi des réserves aqueuses, de l’azote, et des traces métalliques infinitésimales. Il s’agit probablement d’une des premières tentatives de nourritures artificielle. Le modèle a dû être abandonné à cause de sa faible valeur nutritive. Il n’a plus qu’une valeur historique, et son intérêt est faible, même pour un curieux et un technicien du passé, comme moi. J’ai fini par reléguer mes trouvailles dans un cristallisoir brisé avec d’autres déchets, pour envoyer le tout à l’usine.

Saison n3. — 202e jour. — Je viens de recevoir un psychogramme m’annonçant que mon frère, qui séjournait dans un station atmosphérique du pôle sud, est menacé de périr, ainsi que tous les occupants de la station à la suite d’une tempête électrique survenue dans la stratosphère. Une expédition de secours est organisé, et j’en fais naturellement partie.

Saison n4. — 231e jour. — Je retrouve mes archives après une assez longue absence. L’expédition prisonnière des éléments stratosphériques a pu être heureusement délivrée. Personne n’a péri. Je reprends avec un plaisir accru le classement de mes archives spasmodiques.

Saison n4. — 232e jour. — Je viens cette fois de faire une découverte, ou plutôt, une trouvaille véritablement étonnante. Au moment de mon départ pour le pôle sud, j’avais laissé, abandonnés aux agents atmosphériques sur le rebord d’une fenêtre du laboratoire, un certain nombre d’objets bizarres trouvés dans un vieux réceptacle clos. Je m’aperçois qu’en mon absence, ces objets ont subi une étrange transformation. La base, vaguement semblable à un cône de révolution, s’est enfoncée dans la couche de détritus qui remplissait le cristallisoir. Du sommet conique a jailli une tige qui s’exfolie en lamelles vertes. Au milieu des lamelles surgissent des excroissances capricieusement découpées, et reproduisant les diverses couleurs du prisme, ou peu s’en faut. L’ensemble exhale une odeur faible, mais nullement désagréable. Je me promets de faire une étude détaillée du phénomène.

233e jour. — Je crois que j’ai trouvé le mot de l’énigme. Ces exfoliations, ces excroissances bizarres diversement colorées ne sont, ne peuvent être que ce que nos lointains ancêtres, les barbares de l’antiquité appelaient des fleurs. Le objets tronconiques étaient des germes miraculeusement conservés, ayant gardé leurs possibilités germinations parce qu’ils s’étaient trouvés par hasard dans des conditions caloriques et hygrométries favorables. Il faut me hâter d’étudier le phénomène et d’en fixer graphiquement tous les détails, car l’existence de ces « plantes » est rigoureusement interdite par nos lois…

240e jour. — Voici arrivé le moment de détruire mes « fleurs ». Les lois rigoureuses promulguées en l’an 3000 à cause des insectes m’interdisent d’en perpétrer l’espèce, comme mes connaissances techniques me permettaient de le faire. Chose singulière, au moment de faire disparaître ces étranges reliques d’une période abolie, je me sens pris de troubles sensitivo-moteurs devenus bien rares de notre temps. Certes, l’effet esthétique produit par ces menues « fleurs » est pauvre, et pour ainsi dire enfantin ; leurs couleurs n’ont rien de comparables aux savantes décorations murales de nos artistes, leurs faible parfum ne saurait rivaliser avec les parfums synthétiques de nos orgues olfactivo-gustatives, et pourtant… Je suis resté longtemps, dans cette aile déserte du palais des archives, à contempler ces joujoux biologiques aux nuances vieillottes, au parfum désuet. Voilà donc ce que représentait pour nos aïeux, ces sauvages si proches des lointains primates, le charme de la vie, le comble de la délicatesse et du raffinement, ce qu’ils appelaient la beauté et la poésie ? Certes, à cette évocation, on ne peut s’empêcher de sourire, mais sur le moment, avant de livrer au four électrique ces fragiles composés organiques, je me suis senti redevenir pour un instant un barbare et un primitif et j’ai senti renaître en moi la notion ancestrale de sacrilège.

(1) Régis Messac cite un extrait de L’Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, par Miguel de Cervantes :

« La plupart de ces vers ont été perdus, cependant on a recueilli les suivants :

Arbres touffus, qui dans les airs

Balancez mollement vos verdoyants feuillages,

Prés émaillés de fleurs, silencieux ombrages,

Rochers escarpés et déserts,

Plaignez ma triste destinée. »

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