Richard Marsh, Curios – Rivière blanche, coll. « Baskerville », 2011

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llustration d'Aurélien Hubert, Rivière blanche, 2011.

Richard Marsh est surtout connu pour son roman Le Scarabée (1897), précurseur du « thriller surnaturel », dont la traduction de Jean-Daniel Brèque est parue chez NéO avec une préface de Richard D. Nolane, le tout étant réédité aux éditions Joëlle Losfeld. Malgré ses scènes d’action haletantes et ses moments d’humour, ce roman frappe surtout pour l’atmosphère de cauchemar dans lequel il baigne, et qui l’a rendu inoubliable pour de nombreux lecteurs. Richard Marsh a cependant écrit de nombreux autres livres, inconnus en France, et c’est à la tâche de traduire les titres les plus intéressants que s’est attelé Jean-Daniel Brèque dans sa collection « Baskerville ». Curios (1898-1901) est le premier d’entre eux, suivi par Les Enquêtes de Judith Lee.

Curios, comme curiosa ou curiosité, ce type d’objets rares ou insolites que les gens de goût collectionnaient pour les exposer dans leur cabinet de curiosités. Les objets extraordinaires ne manquent pas dans ce recueil de nouvelles. Dès la première, une étrange pipe offerte au collectionneur Pugh plonge celui qui la fume dans une sorte de transe où il voit bouger le lézard qui orne son fourneau… Venant de Tress, un autre amateur de bizarreries, ce don n’a d’ailleurs pas été fait sans arrière-pensées de sa part.

Comme on le découvre au fil des huit nouvelles, chaque récit est raconté par l’un des deux compères : Pugh, craintif, crédule et hypocrite, ou Tress, cynique, machiavélique et entêté. En guise d’amis, il s’agit plutôt d’ennemis jurés qui ne se fréquentent que pour jouer un tour à l’autre. Chacun semble vouloir absolument doubler l’autre sur une bonne affaire, ou lui dérober une acquisition particulièrement précieuse. Ils ne reculent pas non plus devant l’escroquerie pour obtenir à vil prix l’objet de leur convoitise, quand ce n’est pas devant le vol caractérisé. Toujours en quête d’objets rares, ils ne cessent de rencontrer sur leur route margoulins et aigrefins de toutes sortes. Alternativement dupes ou dupeurs, ces deux tristes sires semblent usurper le titre de collectionneurs, et méritent mieux celui de magouilleurs.

Quant aux « curios », ils prennent des formes bien différentes. Certains objets possèdent apparemment des pouvoirs surnaturels, voire funestes, comme dans « La Pipe », « Le Casse-tête », « La Main de Lady Wishaw » ou « La Bague ». Si le superstitieux Pugh leur attribue très vite des vertus fantastiques, le positiviste Tress les observe d’un œil plus acéré. De fait, les nouvelles relèvent du fantastique expliqué, exceptée une – je vous laisse découvrir laquelle.

D’autres « curios » sont dénués de toute aura maléfique. Ces objets rares ou précieux n’en sont pas pour autant inoffensifs, comme en attestent les luttes qu’ils déclenchent pour leur acquisition. Ils apparaissent dans « Le Cabinet », « L’Icône » ou « L’Œuf de grand pingouin ». Enfin, « Le Phonographe » prend un tour plus policier, autour d’un rouleau de phonographe qui semble avoir enregistré un meurtre, et où la victime accuse son assassin par-delà la mort… Une utilisation du phonographe à laquelle on pense rarement, et qui évoquerait presque une version auditive du snuff movie.

Le recueil d’origine, de 1898, est complété par « La Bague », nouvelle de 1901 appartenant à la même série. Jean-Daniel Brèque ajoute aussi un texte critique anonyme paru dans The Academy en 1900, « Les Fileurs d’histoires », qui se penche sur des romanciers populaires, et au premier chef sur Richard Marsh, avant tout pour éreinter leur production. Enfin, la note biographique sur l’auteur nous rappelle entre autres que Mabel, la fille de Marsh, n’est autre que la mère d’un autre auteur fantastique, Robert Aickman. Y est traduit un intéressant passage d’un texte autobiographique paru en 1915. On apprend également qu’Edith Nesbit a été l’élève de Richard Marsh, de son vrai nom Bernard Heldman, lorsqu’il enseignait les lettres à Londres ; si elle est surtout connue pour ses fictions pour la jeunesse, n’oublions pas non plus qu’elle a écrit des nouvelles fantastiques très efficaces, telles que « Man-Size in Marble » ou « The Power of Darkness ».

Avec de tels personnages et des objets aussi intrigants, les récits redoublent d’ingéniosité et d’humour. Le ton n’a pas vieilli et les dialogues sont souvent hilarants. L’ensemble du recueil procure une lecture invariablement réjouissante. Une découverte véritablement nécessaire !

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