Richard Marsh, La peur tombe le masque – Rivière blanche, collection « Baskerville » (2017)

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Rivière blanche, 2017. Illustration de Mike Hoffman.

Une sensation de nausée me gagnait lentement – une sensation d’horreur. J’avais peur sans savoir de quoi j’avais peur.  J’étais incapable de réfréner, de contrôler ma peur.

On ne présente plus ici Richard Marsh, ni le travail de Jean-Daniel Brèque pour faire découvrir ses récits en langue française. Pour ce recueil original, spécialement composé pour la collection « Baskerville », le traducteur explique dans sa préface avoir sélectionné des textes, parus entre 1900 et 1910, pour leur caractère « choquant ». Marsh ayant illustré toute une palette de genres, du policier au fantastique en passant par le sentimental, ce critère de sélection permettait aussi bien d’offrir un bon aperçu de la diversité de son inspiration que de donner une unité et une cohérence à cette variété. En quoi chacune de ces dix nouvelles est-elle choquante, précisément, et dans quel sens de l’adjectif ?

La première nouvelle, « Une illustration de la science moderne », apporte un début de réponse. L’exposition est classique : une jeune danseuse vedette vient chez un avocat pour faire son testament. Menacée, elle a déjà échappé par deux fois à la mort. Les deux victimes qui sont tombées à sa place sont mortes dans des circonstances suffisamment horribles pour que ce texte mérite sa place dans ce recueil. La fin déjoue les attentes convenues du récit policier auquel on croyait avoir affaire, et surtout, son immoralité pure éclaire parfaitement les intentions de l’anthologiste. « Poursuite », qui lui succède, apparaît répondre moins franchement au qualificatif recherché. Mais une scène d’extraordinaire tension, où le personnage principal risque la mort, justifie sa présence ici. La nouvelle est de toute façon très prenante et aussi haletante que le titre le laisse entendre. « La Cigarette » montre un mécanisme narratif intéressant : la caractère choquant s’y révèle à double détente. Le personnage principal, doué d’un odorat prodigieux, décèle chez le président d’un cercle auquel il appartient le parfum d’une cigarette qu’il n’avait respiré qu’une seule fois auparavant : dans la pièce où sa fiancée a été assassinée. Il sait donc désormais qui est le meurtrier qui n’a jamais été retrouvé. Mais si son flair ne le trompe pas, les apparences sont trompeuses…

Tout à fait différente, « À retenir contre lui » est une nouvelle fascinante qui permet d’entrer dans la psyché perturbée d’un assassin. La narrateur voit dans le train un homme d’allure familière imiter tous ses gestes. Irrité, il l’interroge mais n’obtient en retour que la répétition de ses paroles. Le mystérieux personnage ne cesse de le suivre, et son comportement aberrant devient plus inquiétant encore quand il agresse une petite fille. Entre Poe et le Stevenson de « Dr. Jekyll & Mr Hyde », cette nouvelle possède une force quasi hallucinatoire. L’influence d’Edgar Poe est d’autant moins contestable que Marsh fait malicieusement mentionner par un de ses personnages « Le Chat noir » dans la nouvelle suivante.

À côté, « La Disparition de Mrs. Macrecham » fait figure d’aimable interlude. L’intrigue fait surgir le surnaturel au gré d’une formule magique qui, récitée inconsidérément, transforme une logeuse acariâtre en chat ronronnant. Saisi de frayeur, le responsable se heurte à l’incrédulité de l’ami qui répond à son appel. Marsh parvient avec maestria à faire alterner terreur et comique. « Un chevalier de grand chemin » montre également l’aisance avec laquelle l’auteur britannique passe d’un registre à l’autre. Des joueurs de cartes ivres décident de partir fort imprudemment de nuit avec leurs gains. Ils se font comme prévu détrousser de tout leur argent. La nouvelle qui évoluait jusque là dans le burlesque bascule cependant ensuite dans l’horreur. Plus étrange encore, le personnage du voleur et de l’assassin sans scrupules rencontre un autre homme qui le soumet à sa fascinante emprise. C’est une figure du diable, mais leur relation est clairement homoérotique, avec une prose d’un lyrisme extatique, et ils vont jusqu’à s’embrasser sur la bouche. La nouvelle baigne dans un climat nocturne, fiévreux et baroque, qui reste étonnant.

Le malaise reste de mise avec « Le Masque », nouvelle de mystère et d’horreur où le suspense et l’étrangeté dominent de bout en bout. Si les mystères sont rapidement éventés par les amateurs de littérature policière, l’ambiance irréelle et malsaine contribue principalement à la réussite de cette nouvelle. Suite de simulacres, réprimant et contenant la folie homicide comme sous un couvercle prêt à sauter, elle illustre parfaitement son titre.

On revient à la veine humoristique avec « Le Testament de George Ogden », histoire de conflit entre frères et sœurs autour des dernières volontés peu claires de leur défunt père. Comment connaître les desseins d’un mort ? Marsh s’amuse avec un plaisir évident à subvertir le cérémonial juridique le plus codifié, à l’aide d’un fantastique débridé. « Le Fauteuil hanté » brode une énième variation sur les apparitions successives d’un revenant, en jouant sur le comique de répétition. « Une expérience psychologique » clôt le recueil sur une méthode de vengeance des plus originales.

Déployant les différentes facettes du talent de Richard Marsh, La peur tombe le masque parvient sans peine à distraire ou à instiller l’angoisse. Mais elle fait aussi mieux que cela, grâce à certaines nouvelles proprement fascinantes.

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