À l’occasion du centenaire de sa naissance, Faber & Faber lance une série de rééditions des livres de Robert Aickman, disparu en 1981. Elle commence par une première vague composée de deux recueils de nouvelles, Dark Entries (1964) en guise d’entrée en matière et Cold Hand in Mine (1976). Elle devrait se poursuivre par la réédition de deux anthologies et de deux romans. Si aucun de ses livres n’a paru en français, plusieurs de ses nouvelles (surtout tirées du recueil Sub Rosa de 1968) ont été traduites et publiées, dans Fiction et dans quelques anthologies.
Dark Entries est son premier livre publié. Il est ici réédité sous une belle illustration de couverture de Tim McDonagh. Patrick Marcel avait signalé la parution de ce volume, et l’illustration a achevé de me convaincre de m’y intéresser.
« The School Friend » ouvre le recueil. La narratrice se souvient d’une amie de lycée, qui est devenue une érudite, alors qu’elle-même se dirigeait vers l’écriture. À quarante-et-un ans, alors qu’elle est obligée de vivre chez ses parents à la suite d’un revers de fortune, elle revoit cette amie perdue de vue. Revenue enterrer son père, elle décide de rester dans la maison de son enfance. Sous des couleurs d’abords anodines malgré un ton grave, le récit progresse peu à peu vers l’étrange, l’inquiétant et le franchement malsain. Très efficace, cette nouvelle laisse une forte impression et engage à lire l’ensemble du recueil.
« Ringing the Changes » est l’une des nouvelles les plus connues d’Aickman, et c’est justice. Une des rares nouvelles du recueil à avoir été traduites en français (« L’Appel des cloches », Fiction d’octobre 1975). Gerald et sa femme beaucoup plus jeune, Phrynne, un couple récemment formé, décident de passer quelques jours au bord de la mer. Dès leur arrivée, ils sentent qu’ils ne sont pas les bienvenus, ou que ce n’est pas la bonne époque de l’année pour les touristes. Mais qu’importe ? Cependant, les volées de cloches interminables irritent Gerald. Quelle est leur sens ? Et pourquoi cette forte odeur sur la plage ?
« Choice of Weapons » se place dans une tonalité complètement différente, mais montre toujours la même étrangeté dans une suite d’événements qui semble ne rien devoir au hasard. Au restaurant avec sa fiancée, un étudiant en architecture, Fenville, est pris de coup de foudre pour une très jeune fille. Il la suit jusque chez elle. De manière inattendue, le médecin envoyé par sa fiancée trouve l’identité et l’adresse précise de l’inconnue, et l’enjoint à la revoir pour lui déclarer sa flamme. Reçu par Dorabelle, Fenville ne pourra que mettre en doute la santé mentale de cette dernière…
Un voyageur égaré en pleine campagne, en pleine nuit, au gré des défauts de correspondance ferroviaire, est réduit à passer la nuit dans une salle d’attente glaciale, où peu à peu il distingue autour de lui d’autres personnes. « The Waiting Room » est la nouvelle la plus classique du recueil. Mais cette histoire de fantômes réserve une chute effrayante en prenant en compte un élément souvent négligé par le genre.
Robert Aickman montre le même sens aigu de l’observation et du détail dans « The View », qui suit un autre voyageur, cette fois sur un bateau. Carfax y tombe amoureux d’une femme qu’il renomme Ariel. Elle l’invite chez elle, dans une magnifique demeure. Dans la chambre qu’elle lui a attribuée, il ne peut pourtant qu’observer une frappante différence entre la vue depuis sa fenêtre et la vue depuis l’extérieur de la maison…
Le recueil se termine par une des meilleures nouvelles, « Bind Your Hair » (traduite sous les titres « La Nuit du labyrinthe » et « Attachez vos chevelures » dans La Grande Anthologie du fantastique). La personnalité de Clarinda Hartley semble difficile à cerner. Cependant, lorsqu’elle accepte de se fiancer, et de passer un week-end chez les parents de Dudley, la femme dont elle fait la connaissance est bien plus énigmatique et déconcertante qu’elle. Le nom de Mrs Pagani, sous ses airs faussement italiens, renvoie plus sûrement au paganisme, et la mystérieuse cérémonie nocturne à laquelle elle la convie porte des résonances mythiques, des porcs de Circé au labyrinthe d’Ariane.
Encore méconnu en France, Robert Aickman est un vrai maître de la nouvelle fantastique. Ses nouvelles à l’écriture sobre et élégante, mais suintant le malaise, se placent parmi les réussites les plus déroutantes, qu’il s’agisse de l’inquiétude morbide d’un Bradbury (Le Pays d’octobre) ou d’une Carrington (« White Rabbits », « The Sisters », « Waiting »), allié au sens narratif et à la maîtrise du suspense d’un Dahl (Bizarre, bizarre) ou à la montée de l’horreur d’un Bloch.