Robert Darvel, Harry Dickson, le Ministère du Grand Nocturne – Le Carnoplaste (2008)

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Illustration d'Isidore Moedúns . Le Carnoplaste, 2008.

Harry Dickson, « le Sherlock Holmes américain » : c’est Jean Ray qui l’a rendu célèbre, non seulement en traduisant les textes néerlandais anonymes, mais surtout en reprenant en main le personnage pour le pourvoir d’aventures de son cru, lui apportant son style, son ambiance, et une cohérence originale. Le personnage a depuis été repris très souvent, entre autres par Gérard Dôle (chez plusieurs éditeurs, dernièrement Terre de Brume) ou Brive Tarvel (chez Malpertuis), et a aussi été adapté en bande dessinée.

Robert Darvel fait partie de ses continuateurs, mais en cherchant à faire revivre la tradition des fascicules, et non pas seulement sous forme de volumes classiques. Les éditions du Carnoplaste publient ainsi de nombreux fascicules dans la lignée du roman populaire, récits de longueur moyenne, éventuellement propres à se suivre en séries. Le choix du nom de cette maison n’est pas un hasard : « carnoplaste » signifie en grec « modeleur de chair », ce qui rappelle immanquablement un autre personnage de littérature populaire fantastico-policière, le fameux sculpteur de chair créé par Gustave Le Rouge : le mystérieux Docteur Cornélius ! L’une de ces séries reprend donc Harry Dickson, son univers et imite même la présentation d’origine.

Il suffit de comparer la couverture du Ministère du Grand Nocturne aux couvertures illustrant les tomes de la première intégrale chez Marabout. Les nouvelles illustrations sont l’œuvre d’Isidore Moedúns, On retrouve bien le bandeau violet portant en médaillon à droite la tête du détective fumant sa pipe, tel son modèle britannique, et son nom dans sa police de caractère particulière.

Mais ce sont surtout les couvertures de Moedúns qui attirent l’attention et incitent au rêve. Eléments mystérieux ou impossibles apparaissent par la grâce d’un dessin minutieux et réaliste, mais sous des couleurs douces et irréelles, des formes stylisées qui accentuent leur portée énigmatique.

Le Ministère du Grand Nocturne rend hommage dès son titre à l’œuvre de Jean Ray, à une de ses nouvelles les plus puissantes. Ce ne sera qu’un clin d’œil dans le récit, doublé d’une mise en abyme : le titre d’un fascicule à trois sous, trésor d’un enfant illettré, qui inspire son nom à la bande que pourchasse ici Harry Dickson.

Qui ? Pourquoi ? Notre héros est approché par un acteur cynique et égoïste, Richard Cosgrove, qui se sent menacé par une macabre mise en scène publique le représentant en pleine rue les jambes fauchées par une voiture. Or, il a en effet fauché un malheureux, une nuit de brume, en rase campagne, il y a peu… Qui a découvert son crime et sa fuite ? Quel est le but de son tourmenteur : chantage ? vengeance ?

C’est ce que devra découvrir le détective, assisté de son fidèle apprenti, Tom Wills. Un médecin de campagne qui a amputé un vieux fermier de ses deux jambes les mène dans un petit village aussi pittoresque que déroutant, dont les mystères fourniront autant de fausses pistes que d’indices précieux. Des mannequins d’osier et un cul-de-jatte y tiennent une place importante, mais la scène représentée en couverture reste l’un de épisodes les plus frappants : un Tom Wills coupé en deux et dédoublé, dans une ruelle à l’éclairage étrange, et face à une enfilade de portes où s’encadrent des femmes en corset, sans jambes et à tête d’animaux, thériocéphales comme les dieux égyptiens… À la manière des Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, cette mise en scène fantasmagorique est aussi gratuite qu’explicable !

Si surgissent quelques allusions aux personnages fétiches de la série, Georgette Cuvelier ou le professeur Flax, d’autres personnages tout aussi excentriques et extraordinaires prennent la relève et le devant de la scène. Dans une langue savoureuse qui imite le style de Jean Ray par une surenchère de subjonctifs imparfaits, de tournures désuètes et de métaphores audacieuses, Robert Darvel réussit parfaitement à poursuivre l’œuvre du maître, à marcher dans ses traces, en proposant une enquête invraisemblable, tirée par les cheveux et rocambolesque — comme il se doit s’agissant d’hommage à la littérature populaire. Mais du début à la fin, tout est atmosphère, suspense et coups de théâtre, et donc plaisir constamment renouvelé. Et en plus, il y en a encore une dizaine d’autres dans la même série. À lire sans hésiter !

2 COMMENTAIRES

  1. Bonjour,

    Votre nouveau site est très chouette, félicitations !

    Juste une micro-remarque au sujet de la chronique : Robert Darvel, Harry Dickson, le Ministère du Grand Nocturne – Le Carnoplaste (2008)

    Le scan du volume « Jean Ray, Harry Dickson 1, Marabout, 1966 » ne représente pas l’édition de 1966 originale mais sa réédition de 1971.
    L’édition de 1966 possède sur la couverture dans le cartouche contenant le logo la mention : Bibliothèque Marabout Géant. Celle de 1971 seulement Bibliothèque Marabout même si les dates du volume restent toujours bloquées à 1966.

    Cordialement,
    Armand Le Biar

    • Bonjour,
      La mention de réédition a été ajoutée, merci pour l’œil de lynx. Les éditions Marabout donnent bien du fil à retordre. 🙂
      Et merci pour le compliment !
      Cordialement,
      L’ADANAP

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