Sushina Lagouje, Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth – Les Saisons de l’étrange (2021)

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Sushina Lagouje, Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth, couverture de Melchior Ascaride, 2021.

Après avoir réédité La Ville-Vampire de Paul Féval sous le titre  Ann Radcliffe contre les vampires, Les Saisons de l’étrange ont lancé une série de romans inédits, La Ligue des écrivaines extraordinaires, avec une première salve de cinq romans. Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth de Sushina Lagouje fait partie d’une seconde salve de trois romans.

À l’instar de Paul Féval, le roman prend pour héroïne une femme de lettres réelle, ici une grande figure du modernisme dans la littérature britannique. Virginia Woolf était déjà devenu un personnage de roman dans Les Heures de Michael Cunningham (1998), mais ici le cadre n’est plus le réalisme historique. Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth plonge dans le fantastique et l’horreur et ne se fonde sur la biographie de Woolf comme tremplin que pour mieux s’en éloigner. Dans le cadre de la parodie, c’est une image le plus souvent caricaturale qui sert de prétexte à un humour irrévérencieux et ravageur.

En 1946, Miss Wilde, une jeune femme passionnée de Virginia Woolf, enquête sur une période obscure de la vie de son idole. À l’époque, l’autrice de La Promenade au Phare et des Vagues avait pris seule une chambre d’hôtel en bord de mer, sur le rivage des Cornouailles. Miss Wilde retrouve une femme qui l’a bien connue lors de ce fameux automne 1913, Sarah, « sorcière et dame de compagnie » portée sur la bouteille. Le portrait qu’elle fait de la femme de lettres jure avec l’idée qu’on s’en fait :

« Voyez-vous, Ginia ne s’en laissait pas conter malgré ses airs de sainte-nitouche, de muse éthérée tout droit sortie d’un tableau de Dante Gabriel Rossetti. C’était en fait une sacrée bonne femme, je dirais même une foutue garce ! »

Marc Agapit, École des monstres, couverture de Jean-Michel Nicollet, NéO, 1983.

Les personnages du roman sont de même presque tous outrés et incongrus, à la façon des personnages de Marc Agapit dans la collection Angoisse du Fleuve noir. Pour ne rien arranger, ils sont jetés dans l’univers créé par Howard Philips Lovecraft, un univers toujours menacé par le retour de monstrueux Grands Anciens ou Autres Dieux venus pour asservir l’humanité. En cela, le roman suit la lignée de Machines infernales de K. W. Jeter (1987) : du fantastique humoristique fortement inspiré par le maître de Providence. Sans mentionner Lovecraft, Virginia Woolf contre Rhan-Tegoth lui rend hommage en reprenant une de ses créations : Rhan-Tegoth est un montre dont le corps est entreposé dans un musée londonien, selon la nouvelle L’Horreur dans le musée que Lovecraft a écrite pour être signée par Hazel Head en 1926. Sushina Lagouje suit scrupuleusement la description du dieu venu de Yuggoth, nomme Yog-Sothoth et Shub-Niggurath qui apparaissent dans L’Horreur dans le musée, mais aussi Azathoth et Nyarlathotep, et bien sûr le célèbre Necronomicon dont un exemplaire se trouverait sur les îles britanniques…

H. P. Lovecraft, The Horror in the Museum and Other Revisions, couverture de Gahan Wilson, Arkham House, 1970.

 

D’une écriture enlevée, ce court roman se lit d’une traite. Avec ses personnages féminins, son humour et ses monstres, il rappelle enfin certaines aventures d’Adèle Blanc-Sec par Jacques Tardi, qui est leur contemporaine sur le sol français. Miss Wilde est une jeune femme qui se veut intrépide mais que sa maladresse fait tomber dans la boue, Virginia et Sarah échappent à divers périls les laissant trempées, échevelées et courbaturées, le monstre enserre ses victimes de ses tentacules comme il se doit, des crabes noirs envahissent la plage… Tout concourt à faire rire ou horrifier, pour notre plus grand plaisir.

 

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