Trois reporters à Fachoda, ou les romans aérostatiques de Léo Dex

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Trois reporters à Fachoda, un roman de Léo Dex, illustré par E. Vavasseur

Livre de Prix scolaire, Boivin, 1934

 

Une réédition de 1934 chez Boivin, anciennement Librairie Furne, sous une reliure à motifs géométriques, un cartonnage qui avait la faveur au cours de ces années moins fastes et souvent destiné à récompenser les bons élèves des écoles. Cette couverture ne manque pas d’esthétique, mais elle préfigure un défaut souvent constaté : les pages sont en papier grossier, plus épais que celui des fines feuilles courantes à la fin du XIXe, et granuleux, jauni par le temps, et surtout, d’une qualité si médiocre que les illustrations, pourtant nombreuses, bavent et confondent leurs traits dans les noirs. Ce volume souffre de tous ces défauts excepté quelques gravures, qui ont probablement éveillé ainsi mon intérêt peu enthousiaste au prime abord.

Trois reporters en Égypte, un Français, un Russe et un Américain. Voilà un trio quasi conventionnel pour le cadre historique, une aventure en ballon pour rattraper les événements, le message d’un guerrier abyssin, venu du Roi des Rois à l’intention de Marchand, le découvreur. Les journalistes exercent l’espionnage ou la diplomatie en sous-main, leur méfiance entretient un climat hostile entre eux avant de céder à la fraternité qui unit les hommes embarqués dans la même galère. L’Anglais dépêché par les autorités qui régissent l’Égypte est lui rejeté, c’est l’époque qui veut ça, un épisode comme un camouflet s’intitule d’ailleurs « Où cinquante mille Anglais doivent s’avouer impuissants à arrêter un Français« . Ne soyons pas injustes, les romanciers anglais rendaient la monnaie avec intérêts à leurs personnages français. Les indigènes, ma foi, ils peuvent être assez grandioses, ou fous, ou ivres, ou sans intérêt si l’on excepte leur utilité pour la figuration. Le Français, chargé du courrier cacheté pas moins de sept fois par l’autorité suprême des Abyssins, faillira à sa mission, Marchand quitte Djibouti quand il en approche, il ne verra que la tache du bateau sur l’horizon. Ressent-il le désespoir d’avoir mené tout ce voyage, malmené ses compagnons, obsédé qu’il était par la charge dont il était responsable ? Non, il déchire le courrier en menus morceaux, déclarant que sa fièvre est passée… Tout est dit.

Enfin presque, les amateurs d’Histoire peuvent ajouter, bien sûr, qu’il s’agit d’une énième rodomontade d’un patriote français après le fameux incident de Fachoda (au Soudan), enjeu stratégique financier entre les pays européens, et tout particulièrement entre la France, alliée avec la Russie, et l’Angleterre. Les Américains (entendre ceux des USA) font figure de témoins moins que neutres, indifférents et égotistes. La mission Marchand, montée d’abord pour poser des jalons économiques, retardée par les incidents diplomatiques, et finalement mise en route pour une étude dite scientifique et pacifique, se révéla évidemment une manœuvre stratégique qui échoua à Fachoda. La France ayant subi un revers humiliant, d’après elle et ses ardents habitants, il plut de nombreux romans évoquant le conflit larvé où l’Anglais apparaît comme le représentant d’une nation sournoise, la perfide Albion bien connue. Il fallut une deuxième guerre mondiale pour atténuer, et pas plus, le sentiment cocardier né aux débuts de la IIIe République. Et dans l’Histoire, pourrait-on ajouter, les Africains n’eurent rien à gagner, rien du tout.

Ce roman est paru en 1901 sous un titre plus long : « Les Aventures scientifiques. Trois reporters à Fachoda » (Combet, 1901), déjà illustré par Vavasseur. Il conserve ce titre jusqu’en 1928 avant de paraître réduit en 1934. Une raison assez facile à deviner, de scientifique, il en a perdu la qualité avec les innovations technologiques réalisées en trente ans. En effet, sa particularité est sans aucun doute l’emploi d’un véhicule aérien qui eut les faveurs des amateurs d’aventures, le voyage en ballon. Jules Verne avait rendu célèbre son utilisation dans Cinq semaines en ballon en 1877, la vogue littéraire des gonflés à nacelle dans les airs qui s’en suivit lui aurait fait dire, moqueur, par la bouche de Hector Servadac à ses imitateurs, que le procédé était usé.
Léo Dex est probablement le plus représentatif de tous, la plupart de ses romans, outre qu’ils se situent principalement en Afrique, utilise le ballon au cœur de tous ses scénarios ou presque. Dès les années 1890, il emplit les pages des revues et celles des volumes de science, d’histoire et de fiction dont l’aérostat est le héros. Dans le Magasin Pittoresque ou La Nature, chez les éditeurs Berger-Levrault, Hachette, Delagrave ou Boivin, il écrit sans relâche sur le sujet « Ballons dirigeables et appareils volants » — le titre d’un article du Magasin Pittoresque en 1896.
Voyages et aventures d’un aérostat : À travers Madagascar insurgée (1895) Du Tchad au Dahomey en ballon, voyage aérien au long cours… (1897) Le Record du tour de la terre en vingt-neuf jours, une heure, dix minutes (1899), Sur la route du pôle : voyage et aventures de l’aéronaute Gradnier (1901), tous ses romans embarquent leurs héros vers les cieux, tous soumis au péril de l’ouragan, le temps fort et venteux, le point culminant des dangers ô combien exaltants de la navigation en ballon. En 1902, Le Sahara et le Soudan en ballon, roman aérostatique…, la précision marque le phénomène, Léo Dex en écrit tant qu’il a créé un genre : « le roman aérostatique ». Le suivant, et le dernier publié du vivant du romancier, Vers le Tchad, roman aérostatique, publié en 1904 s’aventure même dans l’anticipation — l’engin est fabriqué dans un matériau léger et solide découvert dans un aérolithe tombé dans un champ et le gonfle grâce à des tubes ultralégers à hydrogène comprimé : rapide, indestructible, invincible, un seigneur des ballons — contrairement aux précédents, certes extravagants parfois dans l’action, mais régis par des savoirs scientifiques contemporains. Qui sait, s’il avait vécu plus longtemps, il aurait pu continuer dans cette veine riche d’avenir.

Note : Édouard Deburaux a signé Léo Dex de nombreux ouvrages écrits en collaboration avec Maurice Dibos (1855 — 1931) et consacrés aux voyages en ballon.

Extrait de Voyage vers le Tchad, roman aérostatique, Hachette 1904.

Une obsession que l’on comprend mieux lorsqu’on découvre que l’auteur, de son vrai nom Édouard, Léopold, Joseph Deburaux (1864 — 1904), était capitaine commandant d’aérostiers. On lui pardonnera volontiers sa marotte aérienne en regrettant toutefois ses inspirations militaires sans originalité ni indépendance d’esprit. Il mourut jeune, les circonstances de son décès me sont inconnues, lors d’une ascension ? Cela reste du domaine du possible.

Article paru dans une revue spécialisée, L’Aérophile, août 1902

AOÛT 1902
La traversée du Sahara en ballon. — La traversée du Sahara par ballon non monté sera tentée fin décembre. On sait que le capitaine du génie Deburaux, bien connu par ses études sur l’aérostation. a formé le dessein d’explorer le Sahara au moyen d’un ballon monté par quatre aéronautes.
À ce projet audacieux, mais parfaitement raisonné se sont ralliés MM. le comte de Gastillon de Saint-Victor, Jacques Balsan et le lieutenant de vaisseau Hourts, un adepte de la première heure.
Avant de tenter l’expérience, les promoteurs de l’entreprise vont essayer de faire exécuter cette même traversée à un ballon de 980 mètres cubes muni d’un équilibreur et d’un délesteur automatiques, remplissant les fonctions de l’aéronaute absent du bord. Le capitaine Deburaux a relaté, dans L’Aérophile de février 1902, page 44, les conditions de cette tentative.
Ajoutons que l’aérostat sera porteur d’instruments enregistreurs et de pigeons voyageurs, qui recouvreront la liberté au moment de l’atterrissage, au moyen d’un déclic spécial.
L’expérience, qui coûtera environ 8.000 francs, a reçu les approbations du monde savant, les encouragements du Conseil municipal de Paris qui a donné 500 francs, du Conseil général de la Seine qui a souscrit 100 francs et du ministère de la Guerre qui a offert l’aérostat, un ballon de place réformé, mais encore en bon état.
Nous croyons que le ministère de la Guerre prendra à sa charge les frais du gonflement qui aura lieu à l’hydrogène pur et le transport du matériel aérostatique et chimique.
En même temps que le gros ballon explorateur, sera lancé un ballon de 50 mètres cubes complètement fermé, mais possédant un vide relatif. Ce ballonnet sera muni d’un guiderope pesant 50 kilos, qu’il ne pourra enlever du sol, ce qui l’empêchera de gagner une altitude où il éclaterait sous l’effet de la tension exercée par la dilatation de la masse gazeuse.
Nous formulons les vœux les plus sincères pour la réussite de cette belle expérience, qui fait le plus grand honneur à l’initiative du capitaine Deburaux, du comte de Castillon et de M. Jacques Balsan.
Nous espérons que le ministère des Finances, le ministère de l’Instruction publique et le Conseil d’État accorderont la subvention de 1.000 francs que les distingués aéronautes demandent sur le legs Giffard.

L’illustrateur, Eugène-Charles-Paul Vavasseur (1863 — 1949) est né à Paris, mort à Clichy, et si sa signature est connue, il n’a laissé en héritage que sa carrière professionnelle — à croire que ces hommes et femmes qui maniaient le crayon rentraient dans le plumier lorsqu’ils ne travaillaient pas. Il suivit l’enseignement de Cabanel à l’École des Beaux-Arts et devint un affichiste célèbre. Célèbre encore aujourd’hui, quoique ceux qui utilisent la peinture Ripolin n’en aient aucune idée, pour avoir légué à la postérité le logo des « trois peintres ». Toujours sous nom, il illustrait également les romans, on lui doit chez Boivin un cartonnage connu, Match de Milliardaire, par exemple, et bien d’autres, des livres d’enfants souvent. Plus confidentiel, ou moins aisé à découvrir sur internet, il fut caricaturiste sous le pseudonyme de Ripp pour les journaux pamphlétaires et humoristiques, L’Assiette au Beurre, le Rire, etc.

Vavasseur, affichiste publicitaire, caricaturiste. humoriste.

Vavasseur, illustrateur.

Comment peut-on, d’un roman colonialiste d’aventures en ballon au-dessus de l’Afrique, s’égarer dans des recherches bibliographiques ? Depuis un récit lorgnant sur les péripéties abracadabrantes dont planteront leurs choux gras les futurs auteurs de thrillers soi-disant politiques ? Je me pose la question régulièrement, car le genre me passionne peu, et même très peu. Le roman ne manque pas d’être très correctement écrit, et les illustrations sont sympathiques, mais le thème est loin de soulever mon enthousiasme : des sentiments patriotiques d’hommes héroïques, pourvus d’un arsenal technologique et mortel, persuadés d’apporter civilisation et progrès à des nations arriérées, accusées généralement de barbarie et de cruauté. Vraiment, je ne goûte aucunement le colonialisme, au meilleur des cas, il provoque une vague nausée, un ressentiment diffus contre tout cet étalage de supériorité mâle au teint pâle, au pire il me soulève le coeur à rebours pour toutes ses victimes. Alors quelle raison m’entraîne à lire — en diagonale cependant : on appelle cela la « lecture rapide », paraît-il —, le roman, puis à parcourir les documents et les informations saupoudrés un peu partout dans mes notes ou sur le réseau ? La curiosité, uniquement la curiosité. Elle me perdra un jour.

..mais pas avant d’avoir vu cette publicité culottée !

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