« La Melonite », signé Trombone, fut publié dans La Gaudriole, journal de joyeux récits, contes gaulois et romans illustrés, du 1er janvier 1905.
Ce récit est léger — très léger, même ! —, mais l’idée de produire de l’électricité à partir de… melons est, sauf erreur de ma part, inédite ; elle méritait bien d’être signalée en ces lieux.
La Melonite
Dernièrement, on pouvait lire dans les journaux, accompagnée parfois de commentaires qui voulaient être ironiques, la nouvelle suivante :
« Un savant écossais, Mac Huvett, vient de découvrir un producteur d’électricité inconnu jusqu’ici. C’est le melon, l’innocent et délicat melon, qui renfermait, paraît-il, dans ses flancs, une source abondante du fluide que la Compagnie Edison nous fait payer si cher. Mac Huvett vient de tenter une expérience qu’il déclare concluante. Il a pris une douzaine de melons très mûrs, qu’il a joints deux à deux par des fils de platine — et bientôt un courant électrique a traversé ces fils, courant suffisant pour mettre en mouvement une sonnerie. »
Je passe sous silence les réflexions plus ou moins saugrenues et facilement rabelaisiennes des informateurs qui reproduisirent cette nouvelle. J’ai le grand donneur d’être des amis de l’illustre Mac Huvett. La renommée de ses travaux a porté assez loin pour qu’il soit inutile de le défendre contre de méchants blagueurs plus ignorants que perfides.
Mais cette amitié même me fait un devoir de mettre le choses au point et de rétablir la vérité légèrement défigurée par les renseignements dont on vient de lire sinon le texte, au moins la substance.
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Maintenant, qu’on me permette, avant de commencer un exposé technique qui pourrait être trop ardu, d’ouvrir une parenthèse. Cette parenthèse est nécessaire à la parfaite intelligence du sujet.
J’ai déjà dit que Mac Huvett est mon ami. Pour les gens qui me connaissent, cela implique suffisamment que Mac Huvett a une femme charmante. J’ajouterai même qu’elle est adorable, lady Mac Huvett, avec sa chevelure brune comme la nuit, ses yeux bleus comme l’azur, son petit nez aux narines frémissantes, et surtout, plus bas, avec sa gorge marmoréenne, avec toutes les rotondités d’un pétard plus blanc que le lait et plus dur que les pierres. Ah ! la gaillarde ! c’est comme ça que je comprends les femmes, moi : un cœur très tendre et des fesses très fermes. Ne me parlez pas de l’un sans l’autre.
Je dois dire encore — car c’est aussi indispensable à l’intelligence de mon récit — que Mac Huvett est cocu. En faisant cette confession, je ne crains pas de contrister mon noble ami. D’abord, il ne lira certainement pas cette défense que j’entreprends de son œuvre ; il ne lit rien : il n’a pas le temps.
Ensuite, je sais qu’il n’a pas le tempérament d’un jaloux et que ça lui serait parfaitement égal ; enfin, il aurait plutôt lieu de se complimenter en apprenant que c’est moi qui le fais cocu. Sans moi, il y en aurait un autre qui serait sans doute moins avantageux, sous tous les rapports (1) ; ceci soit dit sans me flatter et simplement pour qu’on ne m’accuse pas de trahir la confiance d’un ami et les secrets d’une femme.
Celui qui a une femme charmante et qui la délaisse doit être cocu.
Mac Huvett a une femme charmante et, absorbé par ses expériences, la délaisse presque complètement.
Donc Mac Huvett doit être cocu.
Ce simple syllogisme me justifie et clôt ma parenthèse. Revenons à nos moutons.
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Il est parfaitement exact que Mac Huvett a découvert dans les flancs de « l’innocent melon » la présence du fluide électrique. Mais on pense bien qu’une fois cette découverte faite, il avait envisagé tout de suite un tout autre but que celui de faire tinter une petite sonnette. Ce sont là jeux d’enfant indignes d’arrêter l’esprit d’un savant.
Mac Huvett ne s’arrêta donc pas à ce premier succès qu’il jugea, avec raison, insuffisant, et poursuivit ses recherches. Bientôt, il acquit la conviction que le fluide dont il avait constaté la présence était produit par le travail lent, mais sûr, de la germination : en d’autres termes, que les graines du melon étaient un foyer d’activité extraordinaire. Cette activité se traduisait sous forme d’électricité. Il était possible, probable même, qu’elle se traduisit encore sous forme de chaleur et de mouvement !…
J’abrège, pour ceux de nos lecteurs à qui cette discussion scientifique semblerait trop abstraite, et j’arrive tout de suite, au résultat.
En vrai philanthrope, Mac Huvett se jura d’utiliser la force nouvelle qu’il venait de découvrir à la défense du peuple qui voudrait y mettre le prix. La melonite aurait une force cent fois supérieure à celle de tous les explosifs connus (2)…
Et justement, ce soir-là, Mac Huvett avait préparé dans son propre jardin une petite explosion de famille, destinée seulement a éclairer l’ambassadeur chinois Hong Hengri, délégué par son gouvernement tout exprès pour s’assurer de l’efficacité de ce merveilleux japonicide. Avec une parcelle infinitésimale de melonite, il se proposait de faire sauter le lendemain, en manière de démonstration, une cabane à lapins qui se trouvait dans son jardin.
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Vous pensez si Kate et moi (Kate, c’était lady Mac Huvett) nous nous étions donné du bon temps pendant que mon illustre ami s’absorbait dans son prodigieux labeur. Ah ! mes enfants, que de détonations, et combien d’explosions ! La melonite n’y était pour rien, mais je vous assure que, tout de même, ça ronflait, comme on dit dans le faubourg Saint-Germain.
… Mais voila que, la veille l’expérience tant attendue par Hong Hengri, mon animal de Mac Huvett avait eu la malencontreuse idée de se coucher ou même temps que le soleil, pour être frais et dispos le lendemain matin. Moi, j’avais été obligé de me retirer dans mes appartements, contigus, comme du juste, à ceux des deux époux.
Mais ma douce Kate n’entendait pas de cette oreille-là. Dans un baiser tout plein de regrets et de promesses, elle m’avait soufflé à l’oreille :
— A minuit, mon Arthur (3)… tiens-toi prêt… je trouverai un moyen de me débarrasser de lui.
… Je me tenais donc, à l’heure dite, l’oreille collée contre la porte derrière laquelle dormait mon adorée, quand soudain j’entends un léger bruit, comme le soupir d’une voix qui m’était bien connue. Un second soupir succéda bientôt au premier, puis un troisième, puis une série de crépitements sur la nature desquels il m’était impossible de me tromper. Mac Huvett était un piètre artiste et un pauvre musicien. Ces notes cristallines ne pouvaient provenir que du glorieux pétard de ma tant aimée.
… Un remue-ménage effroyable… Quelqu’un venait de sauter à bas du lit… C’était Mac Huvett qui, une seconde après, passait à coté de moi sans me voir et se précipitait dans le jardin, en hurlant :
— Ça éclate !ça éclate trop tôt ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Tout le fruit de mon travail est perdu !
Et le fait, est que, par un hasard extravagant, au même moment, la cabane à lapins s’envolait dans les nuages. La melonite avait opéré trop vite.
… Tel Marius pleurant sur les ruines de Carthage, Mac Huvett s’arrachait les cheveux devant cet effondrement de toutes ses espérances… Kate riait comme une petite folle, et joyeusement, pétaradant :
— Tiens ! vieux serin ! fit-elle. J’en fais aussi, moi, de la melonite ! J’en fais tant que je veux et ça éclate quand il me plaît… Pif ! Paf ! Boum ! Et voilà pour toi !…
La rosserie de l’exécutante me peina… Mais que voulez-vous ? l’instrument était si charmant !… Pouvais-je mieux faire que le baiser ?…
… Pour ce. madame, je suis toujours,
Votre entièrement dévoué,
TROMBONE.
(1) Parfaitement, madame. Si vous ne voulez pas le croire, venez-y voir.
(2) Allusion à peine voilée à la mélinite d’Eugène Turpin. D’ailleurs, l’invention de Mac Huvett est parfois orthographiée mélonite, parfois melonite. [Note de l’A.D.A.N.A.P.]
(3) Arthur n’est pas mon nom. C’est celui du premier amant de Kate. Vous voyez comme elle m’aime !…