Un potache et Justini, Historiae Philippicae Ad Usum Scholarum, circa 200-1836-1896

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Un manuel scolaire dont vous êtes le héros

L’enseignement ne fut pas depuis toujours tel que nous le connaissons aujourd’hui, il a toujours été bien meilleur… avant. Je n’apprends rien à personne et surtout pas aux nostalgiques des coups de règles sur les doigts, mais j’aime bien être pédagogue à mes heures perdues.

Après cette flèche du Parthe sans réelle méchanceté, je le jure, je voulais simplement remémorer des pratiques bien oubliées : l’éducation latine et la perdurance des manuels. Il y a bien longtemps comme dans les contes, les livres scolaires duraient et se transmettaient de génération en génération. Preuve en est cette Histoire antique, adaptée au tiers du XIXe siècle, en 1836 exactement, par un professeur du Collège Saint Louis, Adolphe Regnier (1804 — 1884). Ce digne représentant de la pédagogie vécut une vie longue et sans doute sage après avoir rédigé ce reader’s digest de la culture latine, déjà lui-même condensé d’une histoire plus vaste. Les curieux pourront se pencher sur la pérennité de cet ouvrage à travers les siècles et sa pertinence, en consultant les résumés et critiques qu’on déniche aisément sur Internet, car ce n’est pas mon propos.

Justini : Historiae Philippicae (Histoires philippiques de Justin) — Ad Optimarum Edd. Fidem Edidit Et Brevi Adnotatione Instruxit, par Adolphe Regnier

Ad Usum Scholarum (à usage scolaire)

Parisiis, Apud L. Hachette, Bibliopolam, in Via Dicta Pierre-Sarrasin, n° 12, MDCCCVI

On notera la coquetterie qui transcrit l’adresse de l’éditeur en latin, sans dépasser une certaine mesure qui risquerait d’induire l’acheteur dans le désarroi, le nom et le numéro de rue demeurent en français. Louis Hachette, grand ancêtre des éditions du même nom, n’était libraire que depuis dix ans quand il publia ce livre scolaire relié modestement ici.

Si la durée des manuels s’est singulièrement raccourcie et s’ils ne s’écrivent plus en langue morte, leurs utilisateurs ont bien peu changé au cours des siècles, depuis Rabelais ou Villon, on le sait bien, l’escholier est d’abord un potache, irrespectueux, frondeur, dénué de sens moral. Il lui arrive de scribouiller sur les livres scolaires sans aucune manière, et pire de dessiner dans les espaces encore vierges.
En 1896, comme le renseigne avec sollicitude la plume juvénile décidément courtoise pour le bibliographe du futur peut-être plus ignare qu’elle-même, soit soixante ans après son premier emploi, le Justini tomba aux mains de l’un de ces godelureaux plus enclins à bayer aux corneilles et à découvrir dans les hauteurs de leur imaginaire quelques distractions originales. Celui qui nous intéresse allia les plaisirs du dessin, du collage, du rébus et enfin une innovation plus étonnante. Avant de la découvrir, les visiteurs s’exerceront à résoudre les rébus et peuvent participer aux jeux innocents du lycéen plus que centenaire en laissant leur(s) réponse(s) en bas de cette page.

Le minuscule petit train de bas de page donne à penser que l’élève d’Histoire préférait les nouveautés plus mécaniques de la fin du XIXe.

Cet article renonce à être plus qu’une plaisanterie bibliographique, merci d’en prendre bonne note ! 20/20 par exemple.

La phrase écrite en exergue à toute cette agitation ludique attire l’attention, une initiative moins courante que les gribouillis — à ma connaissance, pour être honnête.

Je veux savoir ! Sans hésiter, je cours à la page 20 et…
Dont acte, pour trouver une nouvelle page, puis une autre, et encore…

 

Et enfin je découvre à la page 250 le nom !

Les textes cachés, les codes, les énigmes ne sont pas exceptionnels depuis que l’écriture existe, mais le jeune Roger venait de lancer le premier livre dont vous êtes le héros sans s’en douter un seul instant.
Roger de Castelnau n’a pas laissé d’autres traces de son génie inventif pour occuper les longues heures d’études, cependant il avait bien le droit d’être salué ici.
Il achève son manuel par une méthode classique, les menaces mortelles à l’emprunteur indélicat, on appréciera la verve et la corde :

Si tenté du démon
Tu dérobes ce livre,
Apprends que tout fripon
Est indigne de vivre

accompagné d’un joli mélange linguistique pour achever le cuistre :

Aspice pierrot pendu
Quem librum n’a pas rendu
Quem librum si redisset
Pierrot pendu non fuisset

Regardez Pierrot pendu, il n’a pas rendu ce livre, s’il avait retourné ce livre, il ne serait pas pendu.
— traduction rapide de Samuel Minne que je remercie.

Note annexe :
Il semble que ces annotations manuscrites, de copistes ou de lecteurs, dans les marges sont nommées Marginalia.
Autre note annexe :
En feuilletant la bibliographie de Stendhal par lui-même recueillie par Claude Roy (Seuil, coll. Écrivains de Toujours, 1953), un dessin potache de l’écrivain monté à l’échafaud des sciences mathématiques. Ce marginalia ne déparera pas les prouesses de l’élève Castelnau.

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