Un sac de grains à moudre pour Le Novelliste, revue de l’imaginaire littéraire

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Le Novelliste #1, Flatland novembre 2017

Le Novelliste n° 1

Revue de l’imaginaire littéraire publiée par l’association Flatland

Tant pis pour les esprits prompts à interpréter avec un rien d’aigreur les initiatives d’exception et tant pis pour d’autres qui soutiennent que l’on doit taire son enthousiasme et ses passions lorsqu’on a concouru à leur élaboration. Pour la modestie, déclarent-ils, pour l’humilité du créateur face à son public, et définitivement, je leur répondrai sans détour : « Foutaises ! »

Voilà mon préambule brutal pour annoncer mon sujet : Le Novelliste.

Je vous vois venir déjà quand j’affirme parler d’initiatives d’exception, mais renoncez à toussoter en traduisant par le sens médiatisé chez les revendeurs de soldes exceptionnelles et rappelez-vous cette caractéristique qui qualifie le hors-norme. Oui, oui, vous ne vous trompez pas, j’en ai usé pour l’anthologie Bestiaire humain, car elle en incarnait une manifestation : objet chimère depuis sa nature de livre jusqu’à la moindre de ses pages imprimées, noircies de textes et de graphismes. Le Novelliste ne l’est pas moins, d’une manière différente et l’on peut se louer que les expériences diversifient nos vies souvent bien ternes. J’y ai participé, rien d’étonnant : qui pourrait donc encore douter de mon attirance irrépressible pour les projets les plus fous et passionnés ? Mon implication clairement exprimée, je garderai le silence sur mes collaborations dans la revue, d’autant plus que je ne saurais qu’en dire sinon le plaisir d’avoir apporté mon grain à moudre dans son moulin. Rien ne m’empêche, par contre, de me réjouir du froment et du pain, du savoir-faire du meunier et du boulanger… et je suspends ici la métaphore inspirée par le tableau de Brueghel l’Ancien avant que vous m’imaginiez en mitron au bec enfariné.

Mais prenez donc une tasse de café, il est fort et brûlant depuis qu’il mijote sur mon feu.

Le Novelliste constitue la première émergence d’une association d’édition du plat pays, le Nord : Flatland, évidemment. Son nom remémorera aux plus âgés celui d’un passionné de fantastique et de science-fiction disparu récemment, Alain Garguir (la librairie Andromède et ses revues, Proxima, Visions de l’Étrange, la convention de Lille, etc.), le petit comité qui l’entourait n’a jamais abandonné l’association et la ranime avec l’accord de sa famille. Yves Mouquet, Frédérick Baas et Lionel Évrard entreprennent une action à la fois militante et professionnelle en faveur de la littérature de nos imaginaires, anciens ou modernes, et de notre région terraformée depuis des siècles et sujette aux fluctuations des frontières imposées au gré des conquérants, la friche industrielle aujourd’hui du nord de la France à la Belgique — les curieux consulteront le site pour découvrir les premières publications prévues.

Vaste programme ? Et alors ? Déjà, rien ne se produit sans rien commencer, et plutôt que considérer l’objectif irréalisable, voyons qu’il est inépuisable : qu’importe d’arriver à destination si le voyage est beau.

Le Novelliste est d’abord l’œuvre de Lionel Evrard, projetée après ses essais concluants d’édition artisanale avec OL’CHAP et ses premières publications limitées qui auront enchanté les plus chanceux, attentifs — la microédition n’a pas imprimé son dernier mot, des titres sont planifiés. Une revue papier ! Et consacrée aux nouvelles… À notre époque peu clémente pour les nouvellistes, car il paraît, dans le commerce du livre, que personne n’aime les récits courts, voilà une manne providentielle pour les écrivains. Mais serait-ce aussi une folie ? Peut-être, s’il est insane de ne pas plier les genoux devant les impératifs tyranniques de la sacro-sainte économie, s’il est anormal de penser que la culture s’amoindrit quand elle s’incline pour suivre le marché financier, si les lecteurs abandonnent la nouvelle parce qu’elle est trop réduite pour se prévaloir de la qualité littéraire des romans, au profit du grand tout et n’importe quoi que l’on cueille gratis en réseau. Oh, oh, de nouveau vous me soupçonnez d’enfiler mes gros sabots, la fourche à la main. Vous n’avez pas tort, un peu croquante, un peu sans-dent, l’Histoire m’accorde peu d’illusions sur ma place dans la lutte de classes. Comme durant une Jacquerie, j’enrage qu’on m’empêche de cultiver mon lopin ainsi que je le souhaite sans qu’on me vole les plants du potager qui me nourrissent !

Ahem…

Revenons au Novelliste et à ses fruits. C’est une revue semestrielle, au dos bien carré pour contenir les quelque deux cents pages de textes et d’illustrations en noir et blanc, la couverture brillante est en couleur. Son quasi grand format, rectangulaire, a été exploité par Frédéric Serva pour réaliser une mise en page élégante et aérée. En jouant sur les colonnes, les cadres réguliers quelquefois rompus par une disposition que j’appellerai atonale, le maquettiste a privilégié la lisibilité des caractères et la place des illustrations, importante, qui nécessitaient la meilleure résolution afin qu’on puisse en saisir les détails, qu’elles soient contemporaines ou dénichées dans les vieux journaux. On pourrait signaler la transparence du papier assez épais cependant pour qu’à plat elle disparaisse et ne gêne pas la lecture, mais il faudrait ignorer la volonté de l’éditeur : favoriser l’économie pour proposer la revue au prix le plus abordable, car douze euros pour acquérir un ouvrage de deux cents pages, plus de cinq cent mille signes inédits, textes et traductions, personne ne s’en plaindra. Une bien jolie revue, un objet que l’on range dans sa bibliothèque dès le premier numéro lu en attendant le suivant.
Et justement, que lit-on ? De l’inédit ou du rare, et même les deux, des nouvelles et des articles. Avec en tête les revues qui foisonnaient quand les imprimés occupaient seuls le rôle de diffuseurs culturels, son rédacteur en chef Leo Dhayer a créé une formule contemporaine qui allie les modernes aux anciens. Aucune querelle, enfin ! Bien au contraire, l’intention de prouver que le temps s’écoule et la littérature demeure, ou quelque chose de ce genre. Le territoire qu’il a choisi de parcourir s’étend de la fin du XIXe siècle à nos jours, en langues française et anglo-saxonne — il traduit cette dernière de métier —, il sélectionne là les textes en vertu de ses prédilections, sans s’en cacher, et bien souvent dans le domaine de la littérature qu’on appelle populaire pour l’opposer aux classiques. La dénomination sert trop aisément à la dénigrer en faveur de l’académisme quand elle n’a rien à lui envier, l’inverse se révèle plus fréquent. Diffusée dans les journaux, les magazines ou les éditions bon marché, si elle se rendit accessible aux bourses plates plus usuelles que les comptes en banque rebondis, elle témoigne néanmoins d’une inventivité foisonnante, de la plus grande diversité et du respect de ses lecteurs bien autant que dans les publications tamponnées du sceau du bon goût.

Au sommaire de ce premier numéro, Leo Dhayer précise les objectifs de la revue. Son introduction précède neuf nouvelles, un roman à suivre, trois articles, un entretien et de nombreux dessins. La part réservée aux illustrations est importante, pour les pages-titres comme dans le texte, en pleine page aussi. Elles proviennent d’artistes du XIXe, Fred T. Jane, Jacques Camoreyt, Arthur Watts, Lewis Baumer, et d’autres que les notices bibliographiques en fin du volume se sont efforcées d’esquisser la silhouette, à l’instar de celles consacrées aux peintres d’aujourd’hui, Thierry Cardinet, Toto Pissaco, Céline Brun-Picard — et moi-même qui ne prétends qu’au rôle de tripoteuse-collagiste ! L’ensemble pourrait surprendre et pourtant, à la vivacité réaliste des scènes croquées par les dessinateurs d’il y a un siècle s’accordent agréablement le trait précis et doué pour le portrait de Thierry Cardinet ou la gouaille brutale de Toto Pissaco. J’ai pris beaucoup de plaisir en découvrant l’ironie mordante de Lewis Baumer quand en 1909, dans Punch, il résume à quelques clichés les romans célèbres de l’époque, mais c’est l’illustration signée Jacques Camoreyt, un anarchiste affairé à construire son engin infernal dans sa chambre, qui m’a le plus frappée par son intensité : une belle composition, détaillée, dont la profondeur paraît lui donner trois dimensions sur le papier.
Dominique Warfa inaugure la carrière de la revue avec une longue nouvelle qui marque la décision du directeur de publication à mettre à leurs aises ses auteurs sans restreindre leurs thèmes ou la taille de leurs récits. « De cuivre et d’ambre » se joue du temps et de l’espace à plusieurs niveaux. D’abord un retour à des années soixante parcellaires ainsi que le sont les souvenirs d’enfant, fantasmés dans les frayeurs comme dans les enthousiasmes, méticuleux pour certains détails, évasifs lorsqu’ils demeurent encore incompréhensibles. Étranges aussi quand, de ce passé si vivace et lointain à la fois, l’un d’eux surgit inchangé dans le présent du narrateur, un demi-siècle plus tard, et lui remet en mémoire la cruauté innocente dont il fit preuve dans un monde adulte guère plus paisible, malgré les apparences. Ensuite, le jeu entraîne les gamins de cette histoire douce et un peu amère à explorer le futur qu’on entrevoyait, qu’on désirait depuis l’avènement des sciences modernes : manipuler le temps, l’espace, construire de fabuleuses machines, découvrir l’ailleurs et vivre une existence héroïque, l’aventure comme dans les cases des illustrés. Une belle histoire.
« Une année de génie » date de 1896, écrite par George Griffith qui s’empare d’un thème à la mode à l’époque : les stupéfiants, les drogues, dont on discutait les qualités pour accéder à un état d’esprit ou d’intelligence supérieur. Ici, il s’agit d’acquérir le talent, celui qui subjuguera le public grâce aux mots si bien agencés que les romans se métamorphosent en chefs-d’œuvre. De la raison à la déliquescence, l’auteur dépeint en quelques feuillets la société, les envies et jalousies qui partagent les intellectuels d’alors. Leo Dhayer a traduit ce texte et plusieurs autres avec la même connaissance de la langue et du ton de l’écrivain anglais, il l’a complété des notes utiles à une compréhension plus intime sans en surcharger les bas de page au risque de détourner du plaisir de lecture pour une approche trop historique — que j’apprécie moins hors essais. Cette attention au vocabulaire et à sa transcription fidèle demeure une constante chez les traducteurs de la revue dont la démarche est particulièrement similaire à celle de Leo Dhayer.
Le portrait de la page-titre interprète avec brio un personnage des « Enfants de Bohème », cela déclaré, je resterai muette sur la nouvelle, noblesse oblige… ou plutôt, je voulais dire, jacquerie oblige.
Je dois avouer que j’ai seulement entamé le roman à suivre, Harman l’anarchiste par Edward Douglas Fawcett. Je fais partie de la sinistre engeance qui empile les magazines pour lire comme une gloutonne l’intégrale d’une bande dessinée ou d’un récit au long cours, habitude d’amasseuse de livres. Cependant, les scènes étonnantes dans les illustrations ont presque réussi à me faire faillir à ma routine.
« L’enfilade » est une pure et simple provocation pornographique de Bruno Pochesci. Non, inutile de travestir en érotisme ou jeu sensuel sa verve en folie au cours de son histoire amoureuse dont le scénario futuriste se résume à un prétexte pour en mettre plein la vue aux yeux exorbités des lect.eur.ice.s. Inutile également de lui chercher la petite bête de ce côté, Bruno part du principe que là où y’a de la gêne, y’a pas de plaisir, ses personnages sont des clowns d’un éden qui communient équitablement. L’exercice est acrobatique.


Edith Nesbit… j’aime beaucoup cette dame proche des enfants qui n’a jamais négligé leur bien-être ni leur intelligence. Son imagination riche, originale, nous a offert de très beaux textes et une belle créature des sables. Ici, rien de tout cela, à moins qu’elle explore les conséquences d’une frayeur indicible de l’enfance afin de rappeler aux jeunes hommes, si farauds en ce tout début du XXe siècle, que les craintes les plus irraisonnables pouvaient les atteindre, eux aussi. Deux galants se lancent un défi puéril pour gagner le champ libre auprès d’une délicieuse mondaine, laquelle disparaît du récit dès son commencement, mais la nuit, un musée peut devenir « Plus noir que l’enfer ».
« Le chien », ce texte court d’Yves Letort s’inscrit dans un ensemble plus grand, Le Fleuve, qu’on retrouvera dans le numéro 3. Fantastique et onirique, il suit le cours sinueux, un peu heurté, de l’eau qui l’entraîne.
Dans un registre très différent, la nouvelle d’Anna K. Green a été traduite par Jean-Daniel Brèque et présente en avant-première un recueil qu’il lui consacre dans sa collection Baskerville. Dans « L’indice intangible », Violet Strange, New-yorkaise de la bonne société en 1915, enserrée dans ses règles de bienséance, pratique le métier gardé secret de détective pour une agence. Bien qu’elle tienne à conserver sa place aux yeux de sa classe sociale, la jeune fille est déterminée à exercer ses dons d’investigatrice. Tandis qu’elle collecte les indices et assène des déductions dont ne rougirait pas Sherlock Holmes, Violet Strange sollicite son frère pour l’accompagner lors de son enquête et sauvegarder les apparences. Une alternative étonnante aux rôles des détectives masculins.
Sylvain-René de La Verdière assume un nom de baptême assorti à sa nouvelle, de la taille d’une grande page, publiée ici : « L’arrhénotoque ». L’univers quelque peu déliquescent dans lequel il évolue, où les détails sordides se transforment en épopée humaine, j’ai pensé à La bête noire de Guy Wargny, un roman paru aux bizarres et fascinantes éditions du Dinosaure.
Le dernier texte est une histoire triste, aux accents douloureux du deuil chez les paysans les plus pauvres. Si le lecteur attend les ressorts pitoyables des scénarios mélos dans la fin de la fillette de charbonniers, établis à l’orée de la forêt, il sera déçu. Émile Pouvillon parle de la peine avant tout, du chagrin de perdre un enfant et de la tombe qui enterre un peu plus les vivants lorsqu’elle se ferme. « Dans les feuilles » méritait amplement son exhumation littéraire après plus d’un siècle enfoui, et son auteur, une pensée émue pour son talent quand il a si bien raconté des bribes d’existences qu’on oublie.

 

C’en est terminé de la fiction, de la bonne fiction, pour entamer un panorama plus bref des articles.
Dans « L’étonnante carrière du Vengeur », Lionel Évrard s’est penché sur le destin du « Vengeur », un vaisseau, un sous-marin, un engin extraordinaire qui connut, de surplus un cursus littéraire, héros de récits d’aventures de plus en plus phénoménales. Images et extraits à l’appui, le rédacteur dresse un tableau de ce bâtiment qui hanta la réalité et l’imaginaire, et il le peint bien pour le rendre intéressant même si vous n’avez pas la moindre attirance pour les machines militaires, un peu comme moi. « Visite au Black Museum » a été traduit d’un article anonyme paru en 1894 dans The Strand Magazine, l’occasion de jeter un coup d’œil sur une actualité angoissante telle qu’on la percevait. Les notes du traducteur remettent en perspective l’orientation du journaliste et certains faits ainsi quelque peu altérés par sa vision sociale à propos de ces terroristes, nés à la fin du XIXe des conséquences dramatiques de l’exploitation industrielle. « Présentation de la collection Baskerville » rapporte un entretien du reporter Roland Vilère (oh, la jolie euphonie !) avec Jean-Daniel Brèque, émérite directeur de cette collection publiée indépendamment en numérique, disponible aux éditions des Moutons électriques, et en papier aux éditions Rivière Blanche. De traducteur à traducteur, et de grand amateur de littérature à passionné de bibliographie, monsieur Brèque est le premier de nos translators in english in the text, but from this language in french for us que Roland Vilère a décidé d’inviter dans ses futures pages. Pour clore agréablement leur discussion, l’hôte, à qui l’on doit la nouvelle d’A. K. Green, offre un texte de Robert Barr qu’il apprécie beaucoup, lequel explique avec humour « Comment écrire une nouvelle » malgré les rédacteurs en chef des revues, dont acte pour le prochain numéro en ma présence.

Qu’ajouter après cette chronique rédigée sur un coup de tête en quelques heures un samedi alors que j’ai du travail pour trois personnes sensées ? Que Le Novelliste est la somme de passion, d’enthousiasme et de dizaines et dizaines d’heures de travail pour l’élaborer ? Il suffit de le tenir en main pour le constater. Sinon, eh bien je suis et demeure une mariolle, Esthète de mule, et bien entendu, jamais mieux servie que par elle-même pour promouvoir ce qu’elle aime.

Le Novelliste n° 1 et les suivants se commande sur le site dédié ICI ou par l’intermédiaire des éditions des Moutons électriques. Il est également disponible en librairie, adresses précisées sur le site.

Le numéro 2 proposera un sommaire aussi réjouissant : Lyon Sprague de Camp, Jacques Barbéri, Mary Elizabeth Braddon, Camille Lemonnier, André-François Ruaud, Ketty Steward, Christian Vilà, Carolyn Wells et Pierre-Paul Durastanti.

Bientôt…

 

Matériel © Le Novelliste 2017 — Photographies © Christine Luce

 

2 COMMENTAIRES

  1. Sur la page FB de Redux, j’avais déposé ceci :  » Madame Luce est une lectrice de qualité, nul n’en doutait, et les auteurs ont des frémissements d’ego en la lisant ! « . Je n’en retire nul mot, et voudrais plutôt en ajouter, si ce n’est la peur de verser dans l’hyperbole… (Ah oui, Alain Garguir, Andromède, Proxima… Vers 1985, on devrait pouvoir y retrouver des critiques de ma plume. Pas beaucoup. Deux, je crois…)

    • Ah, les mots, ces fichus et fameux mots ! Eh bien, à défaut de vérité universelle, je pèse en tout cas l’honnête sincérité de ceux que j’écris pour dire au mieux ce que je pense. 😉
      Merci, Dominique, pour les tiens.

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