Visite du Magasin Pittoresque (1) de M. Charton en 1855 : Jean Chappe et l’électricité

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Expérience faite par l'abbé Chappe d'Auteroche, de l'Académie des sciences, à Tobolsk, en Sibérie, l'an 1761. – Dessin de Pauquet (graveur), d'après Leprince.

 

Visite du Magasin Pittoresque de monsieur Édouard Charton (1)

 

Frontispice par Gilbert de la reliure de Magasin Pittoresque de 1855.

La revue ouvrait ses pages tous les mois, en livraison à cinquante centimes depuis vingt-trois ans en 1855.
Saint-simonien, infatigable promoteur de l’instruction populaire, Édouard Charton ne cessa, le long de sa carrière de journaliste, éditeur et homme politique, de publier des magazines et livres rédigés par des érudits et souvent illustrés soigneusement par des artistes de renom. On lui doit, outre Le Magasin Pittoresque (1833), L’Illustration (1843) et Le Tour du Monde (1860), ce dernier demeurant un somptueux voyage autour du globe.

Ex-Libris de Gaston Prinet.

Ce volume du Magasin Pittoresque appartenait à Gaston Prinet, né le 28 décembre 1858 à Pontoise et mort le 29 mai 1933 à Paris, d’une famille originaire de Franche-Comté, à Suaucourt. Son frère est connu comme artiste peintre et illustrateur, René-Xavier Prinet (1861 – 1946), mais Gaston Prinet s’est contenté de collectionner les livres, bibliophile attiré par les estampes et les gravures, il participait à de nombreuses sociétés savantes. Il menait une carrière de diplomate et résidait à Paris lorsqu’il n’était pas en mission au Japon, en Grèce, en Allemagne ou au Danemark. Voir le site du comité des travaux historiques et scientifiques.
L’ex-libris est signé Stern, il s’agit d’un atelier de gravure fondé en 1836 par un sieur Aumoitte qui s’associe à un jeune graveur, Moïse Stern. Ce dernier engage son fils René qui reprendra à son compte l’entreprise en 1904. L’atelier existe et pratique toujours, une très belle longévité : Stern, graveur à Paris.

En mars 1855 paraît un article retraçant un épisode des découvertes de la « fée électricité » comme on la nommera à l’Exposition universelle de 1900 : les expériences de Jean Chappe d’Auteroche (1728-1769), astronome et globe-trotter scientifique. Le texte anonyme s’attache à une anecdote qui frappera l’imagination, encore excitée par une gravure animée empreinte de drame.
L’illustration est signée du graveur, Louis Pauquet, mais sans paraphe de Leprince, nom d’une famille d’illustrateurs du début du 19e. Par contre, une curieuse inscription est apposée : Best.Hoteline-Cie, presque une adresse internet !

Article reproduit en intégralité ci-dessous.

 

 

 

Expériences de l’Abbé Chappe

 

 

On cite plusieurs expériences de l’abbé Chappe, qui ne furent pas sans influence sur les progrès faits au dernier siècle dans l’étude de l’électricité.
À Bitche, en Lorraine, le 28 mai 1757, à cinq heures dix minutes du soir, dans son cabinet de physique, le ca­rillon électrique sonna tout à coup avec une vitesse extraor­dinaire. L’abbé Chappe avait défendu qu’on approchât du conducteur, car l’électricité atmosphérique ne lui avait jamais paru si considérable. Cependant un soldat qu’il oc­cupait ordinairement à tourner la machine, lorsqu’il faisait des expériences sur l’électricité artificielle, voulut tirer une étincelle, en tenant la bouteille de Leyde suspendue à la barre de fer par son crochet. Le pauvre diable fut à l’instant renversé avec tant de violence qu’il cassa la bouteille et les cordons qui soutenaient le conducteur. Il fut plus d’une heure à recouvrer l’usage de ses sens, et garda de l’événement une telle frayeur, qu’on ne put jamais le décider à tirer une étincelle dans les expériences ordinaires.
À Tobolsk, en Sibérie, le 11 juin 1761, le ciel était serein ; cependant tout semblait annoncer un orage. On respi­rait à peine, quoique le thermomètre ne fût qu’à 18 degrés. Un nuage sombre parut vers midi à l’horizon ; il s’éleva insensiblement, et bientôt un sourd bourdonnement annonça son approche ; mais on ne voyait point d’éclair, on n’en­tendait point le tonnerre ; un vent impétueux succéda à ce bruit ; des tourbillons de poussière parurent au loin, c’était l’avant-garde de la nuée orageuse. Bientôt les éclairs sillonnèrent l’espace, le tonnerre se fit entendre et la lu­mière du soleil s’affaiblit. À midi vingt-huit minutes, l’abbé Chappe vit la foudre s’élever de terre, sous la forme d’une fusée, à environ 2 592 toises de lui, et jusqu’à 110 toises de hauteur ; la barre donnait alors de faibles signes d’élec­tricité. À midi trente-cinq minutes, l’électricité était si considérable qu’on n’osait plus toucher à la barre : on en tirait des étincelles à quatre pouces, avec un morceau de fer attaché à un tuyau de verre. Les éclairs se multipliaient, le tonnerre grondait toujours, et l’électricité était devenue si intense qu’elle produisait un sifflement effrayant. L’ob­servateur et les assistants durent se retirer à l’autre extré­mité de l’observatoire. À midi quarante-sept minutes, on voyait deux grosses gerbes d’électricité aux deux extré­mités de la barre, malgré la pluie qui commençait à tom­ber. Ces gerbes étaient de la plus grande vivacité, et les étincelles en partaient de toutes parts, avec un pétillement qu’on aurait pu entendre de beaucoup plus loin. L’observateur était occupé de ces différents phénomènes qui avaient répandu la terreur dans tous les assistants, lorsqu’à midi quarante-huit minutes deux secondes, la barre et cette partie de l’observatoire s’enflammèrent subitement, et ce phénomène fut suivi d’un éclat de tonnerre si prompt et si violent, que tous ces gens, dit l’abbé Chappe, se culbutèrent les uns sur les autres en voulant se sauver. L’instant d’après, la flamme disparut, et la barre ne don­nait plus que de faibles signes d’électricité.
À l’observatoire de Paris, le 6 août 1767, vers dix heures et demie du soir, la foudre, que l’abbé Chappe guettait de­puis cinq heures, s’éleva le long d’un mât isolé sur la ter­rasse de l’observatoire, et le savant physicien s’écria : « Ah ! la voilà. » Le fils de Cassini fut témoin du fait, qui contribua à démontrer que la foudre se dirige quelque­fois de bas en haut. « J’aperçus très-distinctement, dit l’abbé Chappe, un petit intervalle entre le bruit et le mo­ment où la foudre parut au bas du mât ; de façon qu’elle s’éleva sans bruit, et le coup de tonnerre n’éclata qu’à l’instant où la foudre disparut, ou plutôt lorsqu’elle fit ex­plosion ; car si le bruit avait été produit par l’étincelle au moment où elle s’éleva de terre, je n’aurais pas dû observer cet intervalle, parce que je n’étais éloigné du mât que de 32 toises, et alors il n’y aurait eu aucun inter­valle sensible entre l’éclair et le bruit. Il résulte de là que le tonnerre n’est une suite de l’éclair qu’autant qu’il y a explosion, et qu’il peut y avoir, par la même raison, beaucoup d’éclairs sans tonnerre, ainsi qu’on l’observe souvent. »
« Les éclairs, dit Arago (1), s’échappent quelquefois des nuages par leur surface supérieure, et se propagent dans l’atmosphère de bas en haut. » Il y a, dans la Styrie, une montagne fort élevée, qu’on appelle le mont Sainte-Ursule, au sommet de laquelle une église a été bâtie. Jean-Baptiste Werloschningg, médecin, qui visitait cette église le 1er mai 1700, vit se former, vers la moitié de la hauteur de la montagne, des nuages très-épais et très-noirs, qui furent bientôt le foyer d’un grand orage. Le ciel continua à rester très-serein au sommet ; le soleil y brillait du plus vif éclat. Chacun pouvait donc se croire en parfaite sûreté dans l’église, et cependant la foudre, partie du nuage inférieur, y alla tuer sept personnes à côté du docteur Werloschningg. »

(1) Œuvres de François Arago. Notices scientifiques, tome 1er : le tonnerre, page 58. — 1854, Gide et Baudry.

 

Suite  dans la Visite du Magasin Pittoresque (2) La Mère Dolly.

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