Roland C. Wagner : Musique de l’énergie in Histoire du futur proche, tome 1 Les Moutons électriques, 2014
Dans le cadre sérieux de la relecture pour la prochaine sortie des Moutons électriques, je me suis plongée dans la novella « Musique de l’énergie », de Roland Wagner, une bonne dizaine d’années après sa première découverte. Je vous passe le sourire idiot avec lequel j’ai réappris quelques théories définitives, sur le disco et le jazz entre autres, ça en énervera plus d’un, mais pas moi. J’ai eu le temps de savourer les références : scruter un récit parsemé d’astuces linguistiques, de noms et « d’étrangismes » — oui, des mots parfaitement compréhensibles venus d’autres langues ! —, qui s’amuse à semer son lecteur avec des parenthèses cachées entre un ou deux « — » ; donc, disais-je, chercher la coquille ralentit considérablement la lecture. C’est alors que l’idée d’écouter les morceaux m’a rendu bien plus divertissante la tâche… sans vraiment l’accélérer.
Depuis, je me suis fait un gros délire en piochant dans tout ce qui pouvait correspondre à l’essor du rock tel que l’entendait R.C.W. dans la nouvelle. J’ai lâché les années 1950, trop datées pour mes oreilles — ou alors c’est qu’il s’agit de blues. Les sixties sont beaucoup plus intéressantes. Évidemment, il aurait été facile de piquer dans les « standards », ce n’était pas le but. Mon jeu, assujetti à mes règles, était de dénicher des groupes moins célébrés dans les pléthores d’études. Je ne pousserai pas le ridicule jusqu’à me vanter d’avoir exhumé des raretés, je n’y connais pas grand-chose et n’ai aucune envie de devenir exégète sur la question. Il s’agissait uniquement de découvrir des morceaux un peu poussiéreux, encore assez plébiscités pour être hébergés sur le réseau, datant des années 1960 et préfigurant le son 1970. Ce que j’ai fait. Me rendre compte alors que j’ai dû entendre ces sons toute gamine et qu’effectivement, je les « reconnais » se révéla déjà une expérience intéressante. Il est d’ailleurs possible que mes parents aient écouté certains de ces albums sur le tourne-disque amélioré que nous avions, des pochettes me sont familières. Ils ont sans aucun doute influencé mes propres goûts à la fin des années 1970.
Le jeu basique et sans aucun objectif si ce n’est me faire plaisir devint plus excitant. Plutôt que d’imaginer, il permettait de percevoir alors plus nettement l’état d’esprit dont il est question dans le récit : la musique comme l’un des courants porteurs d’idéologie interne, puissant, qui lorsqu’un style apparaît ou disparaît, se nourrit ou contribue à nourrir la pensée humaine : autophage. Psychosphère, serpent d’angoisse, C.Q.F.D. Quelle belle idée pour les fous de musique !
Et quand je vois la date de la nouvelle, 1997, je remonte le temps pour comprendre qu’il m’était impossible, faute de connaissances cette année-là, de lire « Musique de l’énergie » comme il y a deux jours, malgré les prouesses de Roland Wagner pour la faire « entendre ». Une relecture décalée, la culture à portée d’oreilles, me permet seulement aujourd’hui d’accompagner le récit d’une pioche de morceaux sur le réseau, en suivant la bande-son de son histoire et en l’intégrant à mon imaginaire un peu sourd auparavant. Une culture cinquantenaire dont il ne faut priver personne. La preuve en est faite aussi !
Et pour communiquer à vos tympans un morceau qui sonne déjà la fin des sixties, et leur malaise, tout le monde doit la connaître sans mettre un nom ou un titre dessus, Barry Mcguire, « Eve Of Destruction », une protest song de 1965 qui résonne trop fort aujourd’hui.
[…] When human respect is disintegratin’
This whole crazy world is just too frustratin’And you tell me
Over and over and over again, my friend
Ah, you don’t believe
We’re on the eve
Of destruction.
Trois tomes de l’intégrale raisonnée des œuvres de Roland C. Wagner sont parus, depuis la rédaction de cet article, aux éditions Les Moutons électriques, ouvrages dirigés par Sara Doke & André-François Ruaud.