Mlle Yvette Guilbert vient de faire à Berlin un assez long séjour. Elle y fut très fêtée. Chez elle, pour se reposer des triomphes de la scène, elle « s’essayait à parodier — c’est elle qui nous l’écrit — le mélancolique et fantaisiste Villon », son poète favori. Elle « modernise son naturalisme moyenâgeux ».
Voici quelques strophes, écrites la semaine passée, que la diva tant aimée veut bien nous adresser :
Berlin, 29 mars.
Ballade de l’An 2000
Imitée de François Villon
Où sont les gloires de Paris,
Pompadour et la Dubarry,
Et icelles qu’Amour lia,
Et la dame au camélia,
Desclée, Rachel et Déjazet,
Et la gente Marie Crouzet,
Mounet, Coqueline, Rostan ?
— Mais sont les gloires d’antan ?
Semblablement où est la Royne
Qui mâlement en matinée,
Bravement supporta l’essoyne
D’être en Paris guillotinée ;
Où sont allés Francey Sarcisque
Et son Adolphe Brissonnan,
La Ferronnière, son Francisque ?
— Mais où sont les gloires d’antan !
Dites-moi où, n’en quel païs
Se trouvent Duse la Romaine,
Sarah, sa cousine germaine,
Et les Lureau-Escalaïs.
Où sont Granier (Jéhanne), Yvette,
Réjane, Judic, la divette ?
— Mais où sont les gloires d’antan !
ENVOI
Gloire, factice, saugrenue,
Vous ai dédié toute nue,
Cette ballade biscornue,
En une langue triscornue.
— Gloires à mort sont destinez,
Et glorieux qui sont vivans,
S’ils en sont coursez ou tennez,
Autant en emporte ly vens !
Sachez que « coursez ou tennez » signifie : « fâchés, ennuyés », et que ce dernier quatrain est presque mot à mot dans Villon, au sujet des Princes morts. C’est Yvette Guilbert, elle-même, qui nous le dit. Yvette, talentueuse Yvette, merci !…