Louis Sonolet РLes Chasseurs de m̩gath̩riums (1920)

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« Les Chasseurs de mégathériums », de Louis Sonolet, est paru dans Le Rire du 4 décembre 1920.

Les Chasseurs de mégathériums

— Pingrié ! Où est-il donc, cet animal de Pingrié ?

Ainsi hurlait, à travers les couloirs sonores de son établissement, l’illustre Joséphin Boudouille, directeur du Panathénéum (troisième Théâtre-Français), l’homme bien connu pour rivaliser avec Gémier au point de vue de la perfection de la mise en scène. Il cherchait dans tous les coins son chef de figuration pour régler un point important de la première du surlendemain.

À la fin, il vit arriver l’homme si bruyamment réclamé.

— Vous voilà tout de même, Pingrié. Tout est-il pris pour l’Âge de pierre, la nouvelle pièce de M. Saint-Jules de Fouhalier ? Avez-vous pu vous procurer des rennes et des aurochs ?

— J’ai trouvé ce qu’il fallait, patron : des veaux sur la tête desquels on mettra des porte-manteaux imitant les bois de cerf.

— Ingénieux. Et vos figurants ? Tous au complet ? M’avez-vous déniché de beaux gaillards pour faire, au second acte, les chasseurs de mégathériums ?

Pingrié prit un air d’assurance qui valait, à lui seul, toute une compagnie du même nom :

— Soyez tranquille, patron. Pour ceux-là, je ne les engagerai qu’au dernier moment, car autrement, ils se feraient payer des journées à battre une flemme de nouveau riche. Inutile, n’est-ce pas, de les faire répéter ? Ils n’ont qu’à se tenir debout, assis ou couchés dans leur camp en fumant leur pipe d’os de bison. Mais je sais où les prendre. Vous serez content.

— Je tiens aux belles anatomies, vous savez, Pingrié. Ces chasseurs de mégathériums paraîtront en scène à peu près complètement nus, avec tout juste une peau de bête pour leur masquer le bas du ventre. D’abord, la couleur locale l’exige. Et puis, c’est la mode, le goût du jour. Je veux faire pour les hommes, ce que Cora Laparcerie a fait pour les femmes. Sans compter que c’est rudement économique.

Malgré cette recommandation, Pingrié, jusqu’à la veille de la première, ne parut nullement s’inquiéter des chasseurs de mégathériums. Ce ne fut que le dernier soir, après le théâtre, qu’il partit à leur recherche d’un air entendu et parfaitement sûr de lui.

À deux heures du matin, il s’installa chez un marchand de vin des Halles et y dégusta un litre de blanc, avec l’air d’attendre on ne sait quoi. Enfin, un fort de la Halle entra, un colosse de près de six pieds, à la poitrine large comme une armoire, au cou gonflé de muscles qui ressemblaient à des câbles.

Pingrié l’invita à boire un verre qu’il accepta. Un moment après, ils avaient tout à l’ait l’air de s’entendre.

— Ça n’est pas bien difficile, expliquait le chef de figuration, vous n’avez qu’à rester sur le théâtre sans rien dire et qu’à montrer votre peau.

— Oh ! pour ça, on sera d’attaque, faisait le fort. Vous disiez comme ça que vous embaucheriez des copains à moi au même prix.

— Oui, cent sous.

— Y a, fichtre, pas à cracher dessus. Et combien qu’il vous en faut de chasseurs de… de… Comment qu’vous avez dit déjà ?

— De mégathériums. J’en prendrais bien une douzaine.

— Espérez-moi là. J’vas aller vous cueillir des poteaux.

En effet, le fort ramena, une demi-heure après, toute une blinde de costauds de sa trempe, dont les bras formaient tout un chapelet de bosses sous les manches de la blouse et dont les pectoraux s’élargissaient comme des assiettes à soupe.

Pingrié les engagea séance tenante, et il fut entendu que tout le monde devrait se trouver au théâtre le lendemain soir.

Ce soir-là, le rideau se leva solennellement sur la première de l’Âge de pierre. Le premier acte marcha à merveille. Pendant l’entr’acte, Pingrié attendait avec une impatience fébrile dans la coulisse, l’effet bœuf que ne pouvaient manquer de décrocher le décor et la mise en scène du deux : le campement des chasseurs de mégathériums.

Enfin, voici l’instant. Sur la scène, le public contemple une douzaine d’hommes à peu près nus, disposés de façon pittoresque autour de feux où sont censés rôtir d’énormes quartiers de mégathérium.

— Mes lascars vont leur en boucher un coin, se dit l’astucieux chef de figuration.

Mais non, les spectateurs ne paraissent avoir aucun coin de bouché, car, dès le lever du rideau, un éclat de rire général ébranle la salle. Que se passe-t-il donc ?

Hélas ! dans la pénombre des coulisses. Pingrié n’a pas remarqué que ses forts de la Halle transformés en chasseurs préhistoriques, portent tous des tatouages plus ou moins cocasses qui donnent à la pièce de M. Saint-Jules de Fouhalier un parfum imprévu et tout à fait original d’anachronisme. Sur la poitrine velue de l’un d’eux se détache un cœur autour duquel on lit en lettres bleues : J’aime Anna pour la vie. Le bras d’un autre révèle : Zizi aime les thunes. Le ventre d’un troisième s’agrémente d’un soleil portant en exergue : Au bonheur des dames, tandis que son voisin arbore au bas de ses reins, cette fallacieuse indication : Pour le cinéma, s’adresser en dessous.

(1) Clin d’œil de l’auteur à Saint-Georges de Bouhélier !

Illustration extraite de Les Lettres françaises du 29 novembre 1946 : André Gide, Henry Bernstein et Jean & Jérôme Tharaud en version préhistorique.

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