André Jean – Coquines de soucoupes (1947)

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« Coquines de soucoupes », par André Jean, est paru dans Les Lettres françaises du 18 juillet 1947. Les illustrations sont de Grove.

Coquines de soucoupes

Damn it all !… vociféra mon ami Mac Guffy, la vie devient chaque jour plus compliquée !

Paroles un peu vives, je l’accorde. Mais excusables, puisque, depuis quinze jours, les États-Unis sont secouée par une émotion à l’échelle de l’Empire State Building (112 étages) : je veux parler de l’invasion des « soucoupe volantes ».

Soucoupes volantes ?

Ni plus ni moins. Et comme le disait approximativement Hamlet en prenant le frais sur les remparts d’Elseneur, il se passe certainement plus de choses sur la terre et dans le ciel qu’un vain peuple pense.

Les témoins « oculaires » sont légion. M. Harold Dhal a observé, tout en pêchant à la ligne dans un creek de l’État de Washington, un de ces engins diaboliques que la presse Hearst a, bien entendu, étiqueté « made in U.R.S.S. » et que certaines gazettes assurent venir en droite ligne de la planète Mars.

— La soucoupe volante, a déclaré M. Harold Dhal, est un objet de forme circulaire, d’un diamètre de 60 mètres, perforé d’un orifice central entouré d’une rangée de cercles ressemblant à des hublots. A 500 mètres de hauteur, la soucoupe a largué une pluie métallique.

— Et ça fait mal ?

— Non…

D’autre part, un voyageur de commerce de l’Idaho a repéré aussi, au cours d’un voyage en avion, quelques soucoupes en vadrouille.

L’armée américaine a envoyé des avions dans l’État d’Orégon guetter les « assiettes ». Un pilote, le capitaine Smith, a été rattrapé au vol par un de ces rapides météores.

Non contentes de se propager en Amérique, voici que ces coquines de soucoupes se sont mises à visiter l’Europe.

Depuis quelques jours, on commence à en voir aux Baléares, au-dessus de Copenhague et autres lieux.

Et selon le décompte d’une agence américaine, déjà, dans trente-neuf États de l’Union, des gens ont observé des disques baladeurs avec tout le sérieux que comporte une semblable opération.

On n’est pas tout à fait d’accord sur la forme et la grandeur des soucoupes.

A Spokane (Washington), on affirme que c’est rond, mais grand comme une maison de cinq étages.

A Bronxville (New-York) on voit plutôt cela comme une scie circulaire, avec des dents.

A Saint-Joe (Idaho), Mrs Walter en a vu ressemblant trait pour trait à une baignoire en zinc. Aucun instrument hydrothérapique n’ayant été retrouvé dans le secteur, cela ne laisse pas d’être inquiétant.

Tel est le bilan.

Nous avons tenu à mener, suivant une habitude qui nous est chère, une sérieuse enquête auprès d’experts de bon aloi.

Et pour commencer, nous sommes allé trouver M. Danjon, directeur de l’Observatoire de Paris. C’est un savant qui, grâce à un matériel téléscopique très au point, peut se permettre d’avoir sur ce qui se passe dans les cieux des idées qui sont loin d’être préconçues.

— Aucune communication de mes collègues américains, nous a-t-il répondu avec aménité, au sujet de ces bizarres manifestations.

— Mais les témoins ? Monsieur le directeur.

— Il faut se méfier des témoignages. Lors du passage d’un bolide dans le ciel de Strasbourg, un monsieur nous assura que le météore était gros comme la lune. Un autre le vit long et fusiforme. Une vieille dame, enfin, nous déclara qu’il affectait très exactement la forme d’un canapé. Alors, concluez…

Je ne pouvais moins faire que consulter mon ami Georges Langelaan, correspondant honoraire de l’Observatoire de Maleigh (Écosse). Il il attiré mon attention sur le fait qu’il était étrange que toutes ces soucoupes voltigeaient en particulier dans les pays où l’on buvait du whisky.

De Limoges, enfin, j’ai reçu une nouvelle rassurante de mon correspondant spécial, une charmante blonde qui décore la porcelaine et fait l’ornement de cette préfecture distinguée.

— Pas une seule des milliers de soucoupes entreposées dans les nombreuses usines qui font la gloire de la cité n’a, jusqu’ici, fait le mur, et joué fille de l’air.

Conclusion réconfortante qui prouve, une fois de plus, quoi qu’en disent nos détracteurs, que la France est le pays de la mesure. Et que notre vaisselle a gardé l’âme française, caractérisée avant tout par l’attachement le plus invétéré au sol natal.

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